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Le Gnagna man

Publié par le Vendredi 17 Mars 2006, 00:12 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

NDLR: Prononcer le «  gnagna » à la française, et « man » à l’anglaise pour une meilleure compréhension de ce surnom.La première fois que je l’ai rencontré, c’était à l’automne 2002, lors d’un déjeuner organisé par mon chef, Jésus. Et la première chose que Gnagna man me dit, « et si on transformait le deuxième dossier technique en dossier produit ? », hérisse les nombreux poils de mes bras. Ce qui, en langage de journaliste, signifie faire la promotion des produits et non pas, comme nous voulions le faire, faire parler les utilisateurs des avantages et inconvénients de leurs produits. Un peu comme les soi-disantes enquêtes « beauté » dans les féminins, qui ne sont en fait qu’une énumération de produits de beauté.Devant mon minois qui s’était brusquement fermé, Jésus a senti que le courant ne passait pas. Et ça fait bientôt quatre ans que le courant ne passe pas.Le Gnagna man est mon alter ego à la publicité ; c'est le chef de pub. Certains pourraient le trouver grand et distingué. Pour ma part, je le trouve grand et coincé. Le reste de la boite aussi d’ailleurs.Nous avons refusé qu’il ait son bureau dans la rédaction, histoire de limiter les informations que ses grandes oreilles pourraient capter lors de nos interviews téléphoniques. Il a refusé de s’installer avec les chefs de pub des autres rédaction, tous de jeunes sympas et dynamiques pratiquant des méthodes modernes de publicité. Il a donc été placé de l’autre côté de la cloison vitrée qui nous sépare. Et immédiatement ont surgi des dessins d’enfants accrochés sur la vitre à hauteur de nos têtes, car nous nous sommes très vites aperçus qu’il écoutait nos conversations et guettait les bons moments pour débarquer.Son humour est graveleux, il est triste à mourir. Je me souviens d’un salon à Berlin dont je suis revenue traumatisée après avoir passé une soirée entière au resto avec lui, et où je l’évitais dans le train, ne pouvant supporter son humour. Et quand il débarquait dans la rédaction quatre fois par jour, il disait « bonjour » quatre fois par jour.Il n’y venait d’ailleurs que dans un but : nous rapporter des problèmes. Du genre « oui, untel n’est pas content parce que vous n’avez pas dit ça ». Le pauvre ! Il n’aurait jamais dû s’aventurer sur ce terrain. Car la règle dans les rédactions de cette boite est que nous rendons un service au lecteur, pas à l’annonceur. Plus clairement, que l'on parie sur la qualité éditoriale plutôt que de servir la soupe aux annonceurs. Ceci n’est pas un barrage à l’information que pourraient avoir d’éventuels annonceurs, puisqu’en tant que fabricants, ils ont des choses à nous dire. Mais qu’ils passent alors par le canal de la rédaction où nous jugerons si leur information est valable ou non ! Et puis nos délais font que la pression publicitaire est impossible, car les dossiers et articles techniques -là où il y a un enjeu publicitaire selon lui- sont écrits un mois avant qu’il ne rentre en campagne publicitaire.Le Gnagna man présente un défaut majeur à nos yeux : il ne lit pas la revue pour laquelle il travaille. Alors il nous parle de produits dont il a une connaissance proche du niveau zéro. C’est pitoyable de le voir défendre le dernier variateur de vitesse alors que la technique en jeu a déjà été mise sur le marché trois ans avant par un concurrent.En plus, il tente de faire pression sur le rédacteur technique, aujourd’hui en la personne de Fraisette, un as de la diplomatie. Quand la gentille Sosso était encore là, jusqu’en 2003, il avait réussi à la faire pleurer tellement il insistait. Toujours en douceur : gna, gna gna, gna gna gna. La répétition de la demande est son cheval de Troie pour rentrer dans une rédac qui ne l’estime pas. D’où son surnom.Je l’ai supporté pendant tout ce temps. J’ai baissé la tête quand Jésus nous convoquait dans son bureau, et nous menaçait des pires maux si nous ne travaillions pas en harmonie. Je lui ai donné les angles des dossiers, ce qui est légitime pour qu’il cherche de la pub dans la bonne direction : on n’appâte pas les annonceurs travaillant sur les crèmes de soin alors qu’on fait un dossier sur les fards à paupières… J’ai fini par lui donner un sommaire simple, puis un sommaire détaillé parce que je voyais les revenus publicitaires du magazine ramer. Son concept est que les annonceurs passent dans le numéro où ils sont cités. Le mien, et celui d’annonceurs plus intelligents avec lesquels j’ai discutés, est qu’une pub efficace est placée dans le numéro suivant l’information. Le sommaire simple est devenu détaillé. J’ai appelé ses annonceurs pour savoir s’ils avaient des informations…J’ai fait le trottoir pour qu’il puisse justifier son existence.Les revues professionnelles et sectorielles (pas généralistes) ont un ratio de revenus entre la pub et les abonnements qui, dans le meilleur des cas (un très grand nombre d’abonnements), atteint 70% pour 30%. Pas d’autres sources de revenus possibles, puisque nous ne sommes pas en kiosque. La publicité est donc primordiale pour maintenir 68 pages mensuelles en quadrichromie. Sauf qu’ici, il y a un couac.Je viens d'apprendre que le Gnagna man a assez d’argent pour s’arrêter de travailler et continuer à subvenir aux besoins de sa famille, semble-t-il suite à un héritage (mais l’information reste à vérifier). Or un chef de pub est payé sur un fixe + une commission. En général, ce qui les intéresse, c’est la commission, car ils peuvent doubler voire tripler leur salaire. Ce qui signifie que le Gnagna man se moque du niveau de publicité qu’il rentrera dans le magazine, son niveau de vie n’en souffrira pas. En revanche, il a besoin de garder un boulot pour son statut social, ou pour occuper ses journées, lui seul le sait.Des revenus de la revue dépendra donc l’avenir de la rédaction. Aujourd’hui, nous sommes deux rédacteurs, Fraisette et moi, une secrétaire de rédaction, Grognon, à être directement concernés par les revenus de la revue, plus une dizaine de pigistes. Ainsi que lui, mais son salaire lui importe peu. En juin le couperet tombera : si la pub ne rentre pas suffisamment, le canard sera soit arrêté soit vendu. Avec quatre chômeurs de plus à l’ANPE et des pigistes qui vont devoir se casser le cul pour remonter leur niveau de vie.Nous avons envie que ce canard continue d’exister, ne serait-ce que par le retour que nous en font nos lecteurs, ravis qu’il y ait enfin une véritable information sur leur secteur. Certains de tes annonceurs nous le disent même : la revue est très lue, et trouve même une influence qu’on ne lui soupçonnait pas. Il nous faut un autre chef de pub, qui ne soit ni coincé, ni autiste, ni glacial avec  ses clients, ni mielleux. Un vrai chef de pub, comme ceux des autres rédacs, qui ne pratique pas la pub à la papa comme il le fait.Gnagna man, je vais organiser ton lynchage.


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