L'idée
Ce blog regroupe les articles publiées par des bloggeuses. Inscrivez-vous pour pouvoir ajouter des weblogs à la liste des weblogs tenus par des femmes qui ne sont pas des suivi de vie/journaux intimes.Bienvenue en France (sauf si vous êtes étranger)
Source : Irène Delse, un blog d'écrivain
Il faut lire la nouvelle série de billets de Maître Eolas sur le droit des étrangers en France et sur la façon dont il est appliqué. Et il n'a pas tort : un pays qui se dit républicain et démocratique, dont la devise contient le mot de "Fraternité" devrait avoir honte de ces zones de rétention poubelles, de ces expulsions de gens menottés et baillonnés. Sans compter le labyrinthe administratif par lequel doivent passer tous les candidats au séjour, qu'ils soient demandeurs d'asile, étudiants ou immigrés pour de simples raisons économiques, un dédale kafkaïen, bourré de tous ces sigles tellement humains...Un étranger qui vient demander l'asile est accueilli par des PAF et des BAF. Le ton est donné.Ainsi, par exemple, le seul fait se trouver sur le territoire français sans un papier qui vous y autorise est un délit passible de la prison en plus d'une amende et de trois ans d'interdiction du territoire. (Comme il n'y a pas de petits profits, visas et autorisations de séjour nécessitent le paiement d'un timbre fiscal. Vous avez dit injuste ? Alors que ce papier est obligatoire, il faut le payer... Au fait, c'était auparavant la même chose pour la carte d'identité, puis on s'est avisé qu'il ne fallait pas obliger les citoyens français à payer pour leurs papiers d'identité. Les étrangers, eux, ne votent pas, dommage pour eux.)
Ne pas fermer les yeux
Bref, il faut lire, il faut s'informer, il faut ouvrir les yeux sur cette réalité. Surtout en ce moment, où l'Assemblée discute la proposition de loi Sarkozy sur l'immigration, qui durcit encore plus les conditions d'entrée sur le territoire mais surtout de vie faite aux étrangers. Il faut d'abord savoir de quoi l'on parle. Mais après, il sera plus difficile de s'illusionner sur des lois "fermes mais justes" ou sur l'immigration "choisie".
Elles sont seulement électoralistes, ces lois. Leur seul but : essayer de draguer les électeurs qui délaissent la droite classique pour le Front National, en montrant que Sarkozy aussi, à défaut d'inverser les flux migratoires, peut en faire baver un max aux immigrés. Bon ou mauvais calcul ? La suite le dira. Mais on a vu que jusqu'ici, le seul résultat tangible de cette droitisation de la droite a été de légitimer les thèses de l'extrême-droite. Eh oui, les gens ne sont pas idiots : non seulement ils préfèrent l'original à la copie, mais en plus ils voient bien que si on copie une chose, c'est parce qu'on lui attribue de la valeur ! Bref, Sarkozy, après Pasqua et les autres, continue à rouler pour Le Pen.
Boucs émissaires
Dans tous cela, les étrangers sont un bouc émissaire commode, parce qu'ils n'ont pas voix au chapitre. Leur seul crime : être né dans un pays où ils ont le choix entre crever de faim et s'expatrier, c'est-à-dire risquer leur santé et parfois leur vie pour essayer d'assurer à leurs enfants un avenir meilleur. Et quand il y a un tel décalage entre les pays du "Nord" et du "Sud", associé à la facilité des déplacements internationaux grâce au transport aérien, alors on pourra mettre toutes les barrières qu'on voudra, il y aura toujours des gens pour essayer de les franchir. Même les murs et les barbelés ne suffisent pas, comme on l'a vu dans les enclaves espagnoles au Maroc. Et le statut de clandestin, avec sanctions pénales à la clef, ne découragera pas non plus les gens qui ne se résignent pas à crever de faim dans un pays du Tiers-Monde, souvent sous la coupe d'une dictature ou en proie à la guerre. Au contraire, plus on renforce la chasse aux clandestins, plus l'industrie des faux papiers est florissante...
Ceux qui tente l'immigration dans un pays où ils pensent (à tort ou à raison) trouver une vie meilleure, sinon pour eux, du moins pour leurs enfants, sont souvent au départ des gens particulièrement courageux et entreprenants. Ils savent qu'ils prennent des risques, mais ils espèrent toujours que leur tentative sera la bonne. Ceux qui ont des diplômes et/ou des compétences dans une branche qui recrutent auront plus de choix devant eux que les autres. En fait, si la France les décourage, ils auront plus intérêt à partir vers le Canada, l'Angleterre ou les Etats-Unis, voire l'Australie, qui pratiquent aussi une politique d'immigration sélective, mais un peu plus cohérente. Par exemple, ces pays autoriseront seulement certaines professions et diplômes à s'installer, peut-être, mais au moins les gens qui ont eu cette autorisation de s'installer peuvent y avoir une vie normale, faire venir leur conjoint et enfants, par exemple. Ou épouser la personne de leur choix, quelle que soit la nationalité de celle-ci.
Conditions inhumaines
Tandis qu'en France, non seulement on accorde les visas de travail au compte-goutte, suite à des années de fantasme d'immigration zéro, mais en plus il y a des barrières multiples, et souvent sournoises, pour essayer de dissuader les gens de s'installer. On pourrait parler des horaires d'ouvertures des bureaux dans les préfectures où il faut faire renouveler ses papiers. Ou citer l'obligation, pour une personne qui a un visa d'étudiant, de faire renouveler tous les trois mois le papier qui l'autorise à travailler à mi-temps pour payer ses études. Absurde, non, vu que le visa d'étudiant est donné pour l'année universitaire...
Autre absurdité : les demandeurs d'asile n'ont pas le droit d'exercer un emploi pendant la période où ils attendent l'examen de leur dossier. Et cet examen peut durer longtemps... À moins de travailler au noir, ils n'ont alors que le RMI et les allocations familiales. Mais s'ils sont condamnés pour travail au noir, ils risquent de se voir refuser l'autorisation de rester en France !
Dans tous ça, il n'y a pas d'autre logique qu'électorale, apparemment. Les immigrés sont considérés uniquement comme des statistiques à faire diminuer, pas des êtres humains qui ont des droits, dont ceux élémentaires qui découlent de la convention universelle des droits de l'homme.
Quelle que soient les orientations que l'on veut donner à la politique d'immigration de la France, il est honteux de traiter comme des malfaiteurs des gens dont le seul tort est de ne pas se résigner à croupir dans la misère. Reconduire les gens aux frontières, cela peut se faire autrement que dans la violence et l'humiliation, ou du moins on peut l'espérer sans passer pour un utopiste...
On devrait aussi pouvoir attendre de la République un peu de cohérence dans les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que d'humanité. Les papiers obligatoires et payants, l'obligation pour un clandestin de retourner dans son pays d'origine pour faire la demande d'un visa, tout cela, ce sont des barrières arbitraires et inopérantes. Cela ne fait qu'augmenter le nombre des clandestins. Idem pour les dispositions de la nouvelle loi Sarkozy qui limitent encore plus les possibilités de regroupement familial, ou qui instituent une suspicion généralisée pour les mariages mixtes entre français et étrangers. La vie de famillle est apparemment un luxe pour les étrangers, même en situation régulière !
Immigration économique : une affaire
Car c'est un problème récurrent du droit des étrangers en France, et ce n'est pas la loi Sarkozy qui y portera remède, au contraire. Quitter son pays pour gagner sa vie et celle de sa famille, parfois pour aider tout un village, ce n'est déjà pas facile. Il faut s'adapter à un pays qui ne vous est pas familier, souvent apprendre une langue étrangère, des coutumes différentes. Les personnes qui ont un diplôme verront souvent celui-ci sans valeur et devront accepter un travail sous-qualifié. Et en général, même celui ou celle qui a un visa de séjour en règle acceptera ce qu'on lui donne comme travail, acceptera des conditions de travail difficile, souvent au noir. Quand ce n'est pas l'employeur qui fait venir des gens en France avec des faux papiers ! (Bien des "clandestins" d'aujourd'hui, sont entrés ainsi. Ils ne peuvent se régulariser, puisqu'ils ont de faux papiers. Ils sont pourtant parfois en France depuis 10 ou 20 ans, y ont leurs attaches et n'ont aucune raison de rentrer dans leur pays d'origine.)
Ou bien ils sont entrés avec un visa de touriste (valable 3 mois) ou encore "Schengen", c'est-à-dire qui les autorise à séjourner dans les pays de l'Union Européenne pendant 3 mois, à condition d'avoir un billet de retour et des ressources pour subvenir à ses besoins (y compris assurances médicales, etc.) Un visa de touriste n'autorise pas à travailler en France. Or comme la France ne délivre très peu de visas de travailleurs, mais que les entreprises ne rechignent absolument pas à employer des gens dociles, qui travaillent dur et se contentent de faibles salaires, il y aura forcément toujours des étrangers pour entrer avec un visa touriste ou Schengen et puis tenter leur chance...
Ils risquent de se retrouver en situation irrégulière ? De se faire expulser suite à un contrôle d'identité ? Oui, mais entre temps (cela aura pu durer des années), ils auront fait vivre plusieurs personnes de leur famille ou de leur village, et peut-être même, si leurs enfants sont nés en France, seront-ils inexpusables.
Haro sur les enfants étrangers
Car il y a une autre situation absurde et inhumaine : des gens qui, de part leurs liens familiaux en France, ne peuvent être légalement expulsés mais auront en général beaucoup de peine à être régularisés. Encore une illustration du fait qu'il semble y avoir deux poids deux mesures, à droite, lorsqu'il s'agit de famille : elle est sacrée et il faut la protéger, mais quand il s'agit d'étrangers, cela n'est soudain plus valable...
J'en dirai autant sur le fait d'expulser des enfants d'âge scolaire. Devant le mouvement d'opposition au sein des lycées et collèges et chez les parents d'élèves, l'automne dernier, le ministre de l'Intérieur a décrété une trève jusqu'au 30 juin 2006. Pour permettre aux enfants de terminer leur année scolaire... et en espérant surtout qu'il soit plus facile de les expulser lorsque les établissement scolaires ferment leurs portes, pendant les vacances d'été.
Rien d'étonnant à ce que de nombreux responsables religieux, et en particulier au sein de l'église catholiques, aient interpellé les législateurs pour dénoncer le danger de cette loi Sarkozy pour la famille et en particulier les enfants.
Le Réseau Education sans frontières (RESF) a lancé une pétition contre l'expulsion des enfants étrangers : déjà plus de 15 000 signatures. Il faut continuer. Et signer la pétition contre la loi Sarkozy sur l'immigration "choisie"... ou jetable ! Déjà plus de 38 000 signatures.
Ouvrir les yeux
Je ne me fais pas trop d'illusions sur les possibilités d'évolutions positives d'un gouvernement UMP qui semble avoir fait de la séduction des électeurs lepénistes une de ses lignes d'action principales. Mais parmi les citoyens et citoyennes de France, combien savent à quel point la situation des étrangers en France est déjà dégradée ? Au-delà d'une minorité de coeurs endurcis qui ne veulent voir dans l'étranger qu'une menace, justifiant par avance tout traitement inhumain qui lui serait appliqué, combien de gens qui se contentent de fermer les yeux ?
Mais c'est une réalité qui ne s'en ira pas, même si on refuse de voir. La France d'aujourd'hui s'est faite grâce aux immigrés d'hier. Combien d'entre nous ont un grand-parent ou arrière-grand-parent immigré ? Combien d'entre nous doivent l'existence, sans compter leur situation sociale et économique actuelle, à ces hommes et ces femmes qui ont quitté leur pays pour chercher une vie meilleure en terre étrangère, bravant toutes les difficultés, y compris la méfiance et la xénophobie dans le pays d'accueil ?
Il y a tous les étrangers qui ont comblé le manque de main d'oeuvre dans les champs et sur les chantiers, ceux qui se sont battus dans l'armée française et parfois y sont morts. Il y a aussi ceux et celles que l'on a arraché à leur terre d'Afrique et transporté de l'autre côté de l'Atlantique pour y travailler dans les plantations comme esclaves, que la Révolution de 1789 a libérés une première fois, avant que l'Empire ne les renvoie à leurs chaînes. Il y a aussi ceux et celles, persécutés dans leur propre pays pour leur race, leur religion ou leurs opinions, qui ont trouvé refuge et asile en France. Et que parfois, comme entre 1940 et 1944, l'Etat français a trahi.
Quelques citoyens français, heureusement, ont sauvé l'honneur du pays en protégeant ceux qui étaient persécutés.
Etrangers d'aujourd'hui, citoyens de demain
C'est le passé, me direz-vous ? Alors justement, tournons-nous vers l'avenir : vers des enfants et des adolescents qui ont grandi en France parce que leurs parents y sont venus, même au prix de la clandestinité, pour qui la France est le pays où ils ont le plus d'attaches, qui sont "intégrés", comme on dit, mais à qui la loi interdit une régularisation, leur faisant ainsi payer la témérité de leurs parents. Est-ce juste, est-ce humain ? Est-ce seulement bon pour la France ?
Ou bien ne vaudrait-il pas mieux prendre acte de ce que l'immigration zéro est une illusion futile, et mieux organiser l'entrée et l'accueil des étrangers ? Certains ont des "compétences" utiles, d'autres n'ont que leur courage et leurs bras, mais dans tous les cas, il y a de quoi faire. Plusieurs branches d'activités ont chroniquement du mal à trouver du personnel : bâtiment, tourisme, restauration, mais aussi les professions médicales et paramédicales. Et cela ira en s'accentuant, vu que le départ à la retraite des natifs du "baby boom" a commencé en 2005. On a déjà fait venir des infirmières espagnoles. Il y a actuellement des difficultés à trouver des médecins dans certaines spécialités et certaines régions.
Et un gouvernement doit savoir préparer l'avenir. On n'en prend pas le chemin.
Immigration souhaitable
On cite parfois une certaine phrase de Michel Rocard, mais tronquée. Ce grand homme de gauche a dit très exactement : "La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre sa part." Et c'est exactement ce que la loi Sarkozy ne fait pas. Elle ne fait qu'instaurer des barrières, comme autrefois on construisait la ligne Maginot. La seule disposition positive, le "contrat d'accueil et d'intégration", risque de rester lettre morte, si par tous ses autres articles la loi empêche les régularisations.
Comme je le disais, le différentiel de niveau de vie associé à la facilité des déplacements rend l'immigration inévitable. Seulement actuellement, la loi fabrique des clandestins en limitant les possibilités d'immigration légale au-delà du raisonnable. Il ne faut pas négliger le courage et la débrouillardise des gens qui réussissent à vivre ainsi plusieurs années illégalement. Les régulariser ne risque guère de faire un "appel d'air", puisque ces gens vivraient en France de toutes façons.
En revanche, cela risque de dissuader ceux qui ont le choix, grâce à leurs compétences, du pays vers lequel ils se dirigent. Un médecin, un informaticien, de surcroît francophone, aura de plus en plus tendance à choisir le Canada plutôt que la France, et on le comprend. (Je me souviens du cas d'un ingénieur en informatique marocain qui terminait ses études en France. Une entreprise française lui offrait un salaire alléchant pour l'embaucher pendant sa dernière année, mais il avait aussi des propositions au Canada et aux Etats-Unis. Il a finalement choisi le Canada parce qu'on y parlait français... et parce qu'il pouvait obtenir un visa de long séjour ! En France, il était limité aux trois mois renouvelables.)
Quelques destins d'immigrés
Je ne voudrais pas terminer ce billet sans citer quelques uns de ces immigrés qui ont contribué à faire de la France ce qu'elle est aujourd'hui, parce que cela me tient à coeur.
Je voudrais parler de ce jeune homme philipin, né dans une famille nombreuse de Manille, qui a payé ses études en travaillant depuis l'âge de douze ans. Avec un diplôme du secondaire en poche, il a quitté sa terre natale pour Hong Kong, alors territoire sous domination britannique. Il avait appris l'anglais, en plus de l'espagnol et du tagalog que l'on utilisait aux Philipines sous le protectorat américain de l'époque.
Il a travaillé quelques années à Hong Kong, espérant amasser de quoi payer son voyage vers les Etats-Unis, un Eldorado dont rêvaient beaucoup de philipins. Mais l'opportunité s'est présentée beaucoup plus près, en Indochine française, où l'on trouvait alors des raffineries de pétrole et diverses industries. Notre jeune philipin trouva un emploi très modeste chez une compagnie américaine, la Standard Oil (ancien nom d'Esso), mais on lui promis que s'il apprenait le français, il pourrait avoir une promotion au bout de quelques mois. Ce qu'il fit. Et il grimpa petit à petit dans la hiérarchie, jusqu'à devenir cadre assez haut placé. Il rencontra une française, aussi, qu'il épousa. C'était ma grand-mère.
Elle-même était de nationalité française, mais fille d'une italienne qui avait épousé un français. Sa mère n'acquit jamais la nationalité française, ce qui lui avait rendu les choses difficiles pour trouver du travail quand son mari l'avait quittée. Drôle de destinée, d'ailleurs, pour une italienne, que d'épouser un fonctionnaire français nommé au fin fond des colonies, d'y rester pour élever ses enfants français, et de venir s'installer en France à un âge avancé, avec sa fille et le mari philipin (mais naturalisé français) de celle-ci, après que la France ait abandonné cette colonie d'Indochine.
Mais il y a comme cela bien des destinées. Je pourrais citer aussi cette jeune fille espagnole, naturalisée française à dix-huit ans alors que sa famille restait espagnole. Ou ce tunisien qui a fait ses études en France, naturalisé français en épousant une française (de Guadeloupe), et devenant à son tour coopérant français en Afrique. Ou cette française d'origine eurasienne, dont le père était un colon français et la mère vietnamienne, qui avait épousé un immigré du Burkina Faso, et dont les enfants sont nés en France et pleinement français. Des gens que j'ai connu, des amis de la famille. Aujourd'hui, quel sort leur serait réservé ?
"Sometimes, just talking sense is an act of revolution."
-- David Craig Simpson, "I Drew This"