L'idée
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Source : Kozeries en dilettante
Ce billet est dédié à Luciole, François et leur petite Louise, née ce matin, à 0h50.
Fin décembre 1960. La maternité nous laisse enfin sortir ma mère et moi, pour que nous puissions passer Noël avec Cassandre dans le petit studio où elles viennent d'emménager. Pendant les cinq semaines de mon séjour en couveuse, « madame Dix-Sept » n'a pas eu le droit de sortir et périssait d'ennui à l'hôpital, sauvée un seul après-midi en raison d'une réunion de parents dans l'établissement de ma sœur à laquelle on l'autorisa à se rendre sous le haut patronnage d'une infirmière-duègne chargée de veiller à ce qu'elle ne prenne pas la fuite en abandonnant le « bébé Dix-Sept ». Durant ces cinq semaines et malgré la crainte de l'abandon de son enfant illégitime au sort incertain par une femme de si mauvaises mœurs, on ne l'autorisa pas à me rendre visite. C'est avec la complicité d'autres mères qu'elle parvint à entrer dans la salle des couveuses la première fois au bout de deux semaines et à quelques rares reprises ensuite. C'est donc avec un réel sentiment de fête qu'elle rentre à la maison, décidée à ne pas s'alarmer à mon sujet malgré mes moins de 2,5 kg et l'annonce que les deux prochaines années seraient à surveiller de près car il était possible que l'anoxie ait endommagé mon cerveau.
Je m'appelle Anne, car Maman avait adoré Marie Déa dans « Les Visiteurs du soir » et que ça plaisait bien à Papa, notre visiteur du soir à nous, que je m'appelle comme sa mère Hannah.
13 novembre 1960 après-midi. Maman et Cassandre sont au cinéma[1] lorsque Maman ressent les premières contractions. Elle envoie ma sœur chez Mamie Louise et fonce à l'hôpital. Vingt-huit semaines ça fait beaucoup trop court, même si une naissance avant terme était prévue en raison d'un fibrome squatteur. On lui administre aussitôt des médicaments destinés à stopper le travail. Las, rien n'y fait. L'équipe médicale décide de procéder dans l'urgence à une césarienne et la machine se met en branle jusqu'au badigeonnage du ventre de la parturiente, totalement groggy par les médicaments. C'est à ce moment qu'on se rend compte que je suis engagée sur la voie naturelle et qu'il faut abandonner le projet du scalpel.
Maman est donc enjointe à renoncer à son apathie et à poussez, madame ! mais enfin poussez ! ne vous endormez pas !. On lui annonce une souffrance fœtale, on la somme d'y mettre du sien « si vous voulez avoir une chance qu'il soit vivant ». L'adrénaline déclenchée par cet avertissement et les spatules réussiront à me faire mettre le nez dehors vers 20h30.
L'autre jour, tandis que xave et moi parlions de ma peur de la mort. Il disait que pour sa part l'avoir vue de si près lui faisait considérer la vie tout autrement depuis. Le fameux carpe diem : profite du jour présent parce que tu ne peux compter sur demain. Je lui rétorquai en riant en évoquant ma naissance que pour ma part je pense qu'on n'a qu'une seule deuxième (et donc seconde, les esthètes de la langue française apprécieront) chance et que j'avais déjà « dépensé » la mienne, trop tôt pour en tirer si riche enseignement . Comme il me demandait si c'était une blague ou si je le pensais réellement, je me suis rendue compte à ma propre grande stupéfaction que je ne plaisantais qu'à moitié.
Lorsque je suis née, je pesais royalement 2,120 kg, j'avais le cordon ombilical doublement entouré autour du cou, les voies respiratoires obstruées ; au bout de quatre minutes sans crier on me jugea morte. Une puéricultrice tenta toutefois une opération de la dernière chance tandis que vers la table d'accouchement on déclenchait le branle-bas de combat car ma mère faisait une hémorragie.
Voyez-vous, Jésus et moi avons un point commun. Tous les deux avons été donnés pour morts et avons réssuscité. Sauf que pour lui on n'a pas de preuve, tandis que pour moi, si. Notes [1] Je ne sais pas quel film elles étaient allées voir. En attendant que je le leur demande, on n'a qu'à dire que c'était Zazie dans le métro , sorti quelques jours auparavant, parce que ça me plairait bien !