L'idée
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Source : Le blog du bouchon
Pisse-copies et pubards ont le même objectif : faire tourner le journal. Mais la manière d'arriver au but est différente. Le pubard cherche à faire rentrer de la publicité (80% des revenus au minimum pour la presse professionnelle sectorielle), tandis que le gratte-plume veut y faire rentrer des informations. L'organisation aussi est différente, et se manifeste déjà à la vision du bureau de chacun : vide pour le pubard, prêt à s'écrouler sous la documentation pour le stakhanoviste du clavier. Cette différence d'organisation se remarque de même sur leur comportement lors de la tenue de salons professionnels. PARCOURS DU CHEF DE PUB Le tracé est logique, cartésien. Aucune pause pendant la prospection commerciale. Les commerciaux de garde sur leurs stands se cachent dans les fosses septiques espérant l'éviter ; rien n'y fait. Personne n'échappe à son oeil perçant. Et si l'un de ses clients a une double fonction, Pdg de son entreprise et président d'un syndicat professionnel par exemple, il aura droit à deux visites et deux fois le même discours.En deux heures, le chef de pub a terminé son tour de salon avec un bilan positif : 100% des entreprises ont été visitées. Ce contact établi, il les rappellera plus tard. Au bord de la déshydratation (personne ne l'invite à boire), chargé de quelques documentations faisant croire à un quelconque savoir de sa part (mais surtout parce qu'il doit équiper sa maison avec une fosse septique), le pubard part déjeuner sans même s'arrêter au bar. A table, il acquièsce aux complaintes de ses voisins sur l'état du marché ou la législation future par des borborygmes convaincants. Sa silhouette élégante en costume Cerrutti gris parfaitement ajusté à son corps athlétique se détache de la masse de commerciaux trapus maniant la fourchette bruyamment et des représentants des dignes collectivités françaises, cheveux longs et lunettes révolutionnaires. Un chef de pub atypique pourrait alors profiter de son temps restant (un jour et six heures) pour visiter la ville où se déroule l'évènement, boire une petite mousse en terrasse s'il fait beau, partir se promener dans la campagne. Un chef de pub classique reste sur le salon où il erre telle une âme en peine. PARCOURS DU JOURNALISTE Le tracé est chaotique, erratique. L'approche des stands se fait selon de mystérieux critères, propres à chaque journaliste . Un copain fait coucou ? Hop, une p'tite visite. Une affiche intéressante ? Hop, une p'tite visite. Des tronches sympathiques sur un stand ? Hop, une p'tite visite.Tous les commerciaux sortent de leurs fosses septiques où ils s'étaient cachés lors du passage du pubard, et tentent d'attirer le pisse-copie par des ruses de Sioux, telle cette bouteille de champagne dont l'enlèvement du bouchon fait un POP sonore entre deux stands. Rien n'y fait, le journaliste est comme le chef de pub : indétournable de son objectif, incorruptible. Et il ne boit pas d'alcool dans l'exercice de ses fonctions (bon, ok, un p'tit verre de vin le midi, mais c'est pour les vitamines). Toutes les trois p'tites visites, un arrêt au bar pour un petit café salvateur. Oh, quelle surprise de vous trouver ici ? Hop, l'arrêt café dure trente minutes avec une interview à la clé. P'tit passage par la salle de presse, où le journaliste chipe des stylos verts avec une fleur rose s'ouvrant avec la mine* (sponsorisé par le syndicat des nettoyeurs de fosses septiques), s'informe des derniers potins auprès de ses confrères, et dédaigne les milliers de dossiers de presse des fabricants mis à la disposition de La Presse. Une petite pause clope ? Hop, une p'tite interview du voisin fumeur mine de rien et sans sortir le crayon. Un passage par les toilettes s'impose ensuite, pour vider une vessie caféinée et mettre noir sur blanc les confidences acquises au prix de trois cigarettes.Le déjeuner est l'occasion de faire une interview supplémentaire, cahier sur les genoux, stylo-plume dans la main droite et fourchette dans la gauche, et d'en apprendre plus - en OFF - sur les mauvaises pratiques du marché. À la fin de la première journée, quelques âmes attentives peuvent noter la présence d'une silhouette avachie sur un siège, face à deux jus d'orange et une aspirine. La silhouette d'un journaliste en jeans (moulant ses formes rondes pour une femme , déformé pour un homme), ceint par quatre sacoches remplies de documentation qu'il s'empressera de jeter à son retour en rédaction, et du produit de ses larcins sur les stands, des dizaines de crayons usagés et de bloc-notes remplis de hiéroglyphes illisibles. En deux jours, son bilan est plus que satisfaisant sur sa récolte d'informations, avec la visite de 15% des exposants et le suivi de trois conférences sur vingt, bien moins d'un point de vue sanitaire avec une consommation accrue de café, aspirine et cigarettes. Il en découlera 16 articles, une visite chez le médecin et de nombreuses plaintes exprimées au pubard lorsque celui-ci relancera ses clients : « votre journaliste , on l'a vu passer quatre fois devant notre stand. Il ne s'y est jamais arrêté {NDLR: le soulignement indique l'accentuation de la voix}. Pourquoi voulez-vous que je vous prenne de la pub, puisqu'il ne fera pas d'article sur ma fosse septique ? » Remarque que le pubard transmet immédiatement en version originale au rédacteur en chef. Qui s'énerve tout aussi immédiatement et ressort un argument éculé**: « Oui, mais on n'a pas le temps de tous les voir, il faut aussi couvrir les conférences. Ils n'ont qu'à envoyer leur dossier de presse ». Or tout journaliste qui se respecte sait très bien qu'une bonne discussion de visu, surtout quand elle dure 30 minutes en moyenne, ramène dix fois plus d'informations que la lecture d'un dossier de presse. Et donc produit dix fois plus de lignes dans le journal ! Mais le journaliste a deux principales caractéristiques: il n'a jamais le temps , et constamment sur la défensive face à la pub, il n'hésite pas à manier la mauvaise foi comme d'autres manient la truelle. Car sa peur primitive reste l'intrusion du chef de pub sur la partie éditoriale (terme de pisse-copie) / rédactionnelle (terme de pubard) du journal ... Durs métiers que ceux de chef de publicité et de journaliste ! * Une rose rouge sur un style vert ne pouvait laisser indifférente un bouchon qui s'imagine être une princesse. Un bon truc pour se faire aduler par sa progéniture...**éculé, du verbe éculer. Au sens figuré: qui a perdu tout pouvoir à force d'avoir trop servi.
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