L'idée
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Source : Irène Delse, un blog d'écrivain
J'ai raconté plus haut combien l'écriture de L'Héritier du Tigre avait été un exercice de constance et de patience, d'imagination et de concentration. Mais enfin, à la fin des fins, le grand jour était venu : j'avais apposé le dernier point au bout de la dernière phrase.
C'est alors, vous vous en doutez, que le plus dur a commencé.
La chasse à l'éditeur.
Pas facile, quand on est "inconnu débutant", c'est-à-dire qu'on n'est pas une célébrité ni un professionnel de l'écriture. Mais vous commencez à connaître l'auteure : elle est du genre à s'accrocher...
Viser sa cible
Et s'accrocher il a fallu. D'abord, histoire de ne pas semer à tous vents des copies inutiles de mon petit gros manuscrit (450 pages pour la première version, un joli poids), j'ai commencé par me renseigner sur les éditeurs. Vous me direz que ça a l'air tout bête ; pourtant, combien d'auteurs anxieux, naïfs ou mal aiguillés ne prennent même pas cette peine ! Et c'est ainsi que les éditeurs ayant pignon sur rue (en général dans le 6ème arrondissement de Paris ) croulent sous des piles de papier dactylographié dont ils n'ont que faire, parce qu'ils ne publient pas de a) recettes de cuisine, b) recueils de poésie, c) livres religieux, d) autobiographies... (Rayez les mentions inutiles.)
Se renseigner n'est pas très difficile. On commence par le commencement : les livres qu'ils publient ! Et on les trouve là où ils sont, dans les bibliothèques et les librairies. L'auteur commence par repérer le rayon qui le concerne (dans mon cas, les ouvrages de SF, fantasy, imaginaire) et regarder quels genres et sous-genres sont représentés, et quels auteurs les publient. Tiens, tiens : la plupart de ceux-ci se cantonnent quasi-exclusivement dans les traductions d'auteurs anglo-saxons et les rééditions de classiques du genre. Parmi ceux qui ouvrent la porte aux auteurs français, tous ne publient pas de "jeunes" auteurs.
Donc une règle simple : je me limiterai aux éditeurs qui publient de l'imaginaire et lancent (ou essaient de lancer) des auteurs francophones inconnus. Pour tout exemplaire de mon tapuscrit envoyé en dehors de ce cercle, les chances de faire une touche tomberaient quasiment à zéro.
Liste de course de l'écrivain en chasse
Et pour améliorer le tri, rien ne vaut la "bible" en la matière : AUDACE, l'Annuaire à l'Usage Des Auteurs Cherchant un Editeur, de Roger Gaillard (alors édité par le ci-devant Calcre, maintenant par L'Oie Plate).
Un usage judicieux de ce gros volume me permit de confirmer telle observation, d'affiner telle autre. Par exemple, la collection "Fantasy" chez Rivages ne publiait pas d'auteurs français ; en revanche, Le Masque venait de lancer une collection de fantasy sous l'égide de Serge Brussolo (hélas, celle-ci ne s'est guère développée).
En somme, le tour d'horizon fut vite fait : parmi les "grands éditeurs", le Fleuve Noir, Denoël et Flammarion (les deux derniers ont depuis un peu réduit la voilure dans les collections "imaginaire" et ne lancent plus d'inc-déb) ; parmi les éditeurs moyens Nestiveqnen (auquel je donnai la priorité, vu qu'ils avaient déjà publié une de mes nouvelles), Le Bélial, Mnémos, L'Atalante, Au Diable Vauvert, Bragelonne ; enfin parmi les petits éditeurs Imaginaire Sans Frontières (qui n'existe plus aujourd'hui, apparemment) et Eons.
Lorsqu'il y avait un doute, j'ai écrit ou e-mailé aux éditeurs (adresses dans Audace, bien sûr) pour confirmation. J'ai aussi profité du Salon du Livre pour m'adresser directement aux responsables qui étaient venus. (Dans les petites et moyennes maisons d'édition, on peut rencontrer l'éditeur lui-même.)
J'avoue que j'ajoutai sur ma liste deux ou trois autres éditeurs, pour des raisons, disons, superstitieuses et sentimentales. Gallimard (oh, oui, je l'ai envoyé à Gallimard, je n'allais pas m'en priver), plus Robert Laffont, à cause de la collection Ailleurs et Demain, et Phébus, pour leur fabuleuse collection de romans d'aventures. Bref, j'ai envoyé mon manuscrit chez des éditeurs que j'admirais et qui m'avaient fait rêver.
Votre tapuscrit a-t-il la tête de l'emploi ?
L'étape suivante fut simple : fabriquer cinq ou six tapuscrits, les envoyer et attendre. Quand l'un est retourné refusé, le remettre sous enveloppe pour en faire profiter un autre éditeur, et ainsi de suite, par roulement.
On dit beaucoup de choses sur la présentation des manuscrits. Ayant moi-même fait un stage dans une maison d'édition, voici de cela quelques années, et pouvant de plus m'appuyer sur mon expérience de bénévole au Calcre, association d'information et de défense des auteurs, je savais à peu près ce qui comptait en la matière.
D'abord, l'incontournable : votre manuscrit doit être un tapuscrit ! Pas d'écriture manuscrite. (On ne verrait plus, aujourd'hui, de José Corti découvrant Julien Gracq sur un cahier écrit à la plume, à l'encre verte.) OK, pas de problème : j'écris sur traitement de texte, de toute façon.
Ensuite, une présentation claire, propre, sans fautes d'orthographe . Là aussi, je passe le test. (Non, ce n'est pas pour me vanter. J'ai toujours été bonne en français.) Présentation standard : feuilles A4 imprimées seulement au recto, marges larges, double interligne. Feuillets numérotés. Le titre et le nom de l'auteur sur la première page. Et écrits en noir, pas en bleu ou vert !
Et quoi d'autre ? Ah, oui : une lettre d'accompagnement factuelle, concise, polie. Pas de flagornerie, de vantardises, pas d'appel aux sentiments. (Les éditeurs sont blasés, de toute façon. On les leur a déjà toutes faites.) Pas question non plus de tartiner sur trois pages une explication du roman : s'il a besoin d'explications, c'est que vous devez le retravailler !
Un texte envoyé à l'éditeur doit pouvoir se défendre tout seul. Sinon, mieux vaut continuer à y travailler. Ou écrire autre chose. En revanche, n'oubliez pas : les nom et coordonnées de l'auteur, une bibliographie (dans mon cas, quelques nouvelles et articles), le pseudonyme qu'il ou elle veut utiliser le cas échéant. D'autres indications personnelles, comme la profession, seulement si elles ont de l'intérêt pour l'éditeur. (Si vous êtes journaliste , l'éditeur trouvera le moyen d'utiliser ce détail pour le lancement du livre. Si vous êtes plombier-zingueur ou chômeur, mieux vaut ne pas le mentionner avant de signer le contrat. Je ne plaisante qu'à moitié.)
Et c'est vraiment tout ? Pas de photo de l'auteur, de CV, pas besoin de relier votre beau tapuscrit, votre bébé, le porteur de vos rêves les plus fous ?
Pour le CV et la photo, voir ci-dessus. Soit cela sert le livre et l'éditeur (bref, c'est utile pour la promotion), et vous pouvez l'inclure. Soit cela ne sert à rien (ou dessert, si vous êtes vieux, chauve, laid, bedonnant...) et mieux vaut laisser de côté.
La reliure ? Là, il y a plusieurs écoles. C'est sûr, le tapuscrit relié évite le risque des feuilles éparpillées et perdues. D'un autre côté, c'est plus cher. Cela fait-il plus "pro" ? Oui et non, je dirais. D'abord, c'est à votre éditeur de décider si votre texte peut être édité ! Inutile d'essayer de lui forcer la main, de le séduire. Là encore, il ou elle (de plus en plus de femmes sont dans l'édition) a déjà tout vu. Les reliures collées sont belles mais mieux vaut éviter : si votre texte passe le premier écrémage des manuscrits, il sera sûrement confié à plusieurs lecteurs donc sera photocopié. Moralité : préférez une reliure à spirale, qui permet d'extraire les feuilles facilement.
Mais ce n'est pas strictement nécessaire. Personnellement, j'ai envoyé mon roman sans le relier, les feuillets simplement numérotés, avec le titre et le nom de l'auteur en bas de page (merci le traitement de texte), rangés dans une chemise de carton souple vendue à 40 centimes pièce chez Gibert. Propre, simple, économique.
Et je ne pense pas que cela ait handicapé mon manuscrit, car j'ai reçu à chaque fois un reçu poli, parfois légèrement personnalisé, et les pages un peu froissées laissaient penser qu'il avait été lu.
J'ai envoyé mes briques par la poste, ou je les ai déposées pour les éditeurs sur la place de Paris , et j'ai attendu. (Pour l'instant, pas d'envoi de manuscrit par courrier électronique. À éviter, sauf si l'éditeur l'accepte expressément.)
Des réponses, au bout de trois à cinq mois, soit. Mais pas de réponse positive.
Comment suis-je passé de ce stade d'auteur en chrysalide à celui, bien plus chatoyant, d'auteur enfin édité et volant à toutes ailes ? C'est ce que je me propose, lecteur, de vous raconter au prochain numéro.
"Tous, ils ont commencé par raconter leur vie qu'ils jugeaient intéressante. Mais les plus sages ont rangé cette première version dans un tiroir (peu ont eu le courage de la brûler) et ensuite, en prenant leur temps , ils ont recommencé ou sont passés à autre chose."
Paul Desalmand, Ecrire est un miracle, éditions Bérénice