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Les recettes faciles du fabricant de best-sellers

Publié par IreneDelse le Mercredi 21 Juin 2006, 23:43 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

C'est en train de devenir un passage obligé chez les auteurs à succès, en particulier anglo-saxons : la publication d'un livre de cuisine, pardon, d'un manuel pour fabriquer des best-sellers.

La semaine dernière, au rayon fantasy et SF d'une Fnac parisienne, je remarque un gros volume d'Orson Scott Card, Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction (éditeur : Bragelonne, qui semble bien parti pour recevoir un nouveau Razzie de la revue Bifrost, mais passons). Plus récemment, au Virgin Megastore de Barbès, cette fois, je tombe sur ce titre d'Elizabeth George, chez Presses de la Cité : Mes secrets d'écrivain, Ecrire un roman, ça s'apprend !

Ben voyons. À quand un manuel de Dan Brown intitulé "Ecrivez votre propre Da Vinci Code en dix leçons" ?

Comme des petits pains

Un rapide coup d'oeil à l'intérieur montre qu'il s'agit bien de manuels pratiques pour fabriquer des histoires et se faire publier : comment planter un décor, décrire un personnage, construire une intrigue, le B. A.-BA de la narration à la troisième personne et du changement de points de vue ; plus quelques éléments sur le marché de la fiction aujourd'hui et le démarchage des éditeurs...

Bon, soyons honnêtes, je ne tiens pas rigueur à Elizabeth George (dont j'apprécie assez les récits policiers, même si je trouve que les derniers tirent un peu à la ligne) ni à Orson Scott Card. Un écrivain vit des livres qu'il vend, et si l'éditeur veut vendre un livre de recettes signé par une plume connue, ce serait bien bête de ne pas en profiter.

Quant à l'éditeur, ma foi... Lui vend ce que les gens achètent. Si les lecteurs sont prêts à acheter des manuels pour écrire des romans plutôt que des romans, lui non plus aurait tort de se priver de cette source de profits.

D'ailleurs, la mode des manuels d'écriture n'est pas neuve aux Etats-Unis, où les cours d'écriture créative figurent en bonne place dans le cursus de quasiment toutes les facultés et où nombre d'officines proposent des services allant du conseil littéraire et de l'aide à la recherche d'éditeur (travail classique d'un agent) jusqu'à l'écriture complète d'un manuscrit. En fait, l' Technorati semble être une source importante du revenu des écrivains.

Professeur de fiction

Mettons que vous soyez un auteur respecté, remarqué par les critiques littéraires, ayant gagné un prix ou deux, mais que vous restez loin derrière un Dan Brown ou un Stephen King en matière de ventes. Ou bien vous avez eu votre époque de gloire et de best-sellers, mais vous devenez vieux ou vous tombez en panne d'inspiration, ou bien vos livres sont passés de mode, bref, ç'a eu payé mais ça ne paye plus. Pas de panique ! Il y aura toujours un organisme d' Technorati, quelque part, pour vous proposer un poste de prof de littérature comparée ou d'écriture créative, un cycle de conférences ou l'animation d'un atelier d'écriture (les fameux writing workshops).

Et ce serait bien le diable si, avec la matière de ces enseignements, vous ne parveniez pas à tirer un livre. En fait, selon toute probabilité, vous serez approché par un agent littéraire avisé ou un éditeur désireux d'afficher un nom prestigieux à son catalogue... et d'exploiter le vaste vivier d'auteurs amateurs un peu superstitieux qui veulent se réchauffer à la flamme magique du Grand Ecrivain.

C'est en gros le parcours, par exemple, d'un auteur respecté à la fois comme écrivain de fiction et comme professeur d'écriture, Robert Olen Butler, lauréat de divers prix littéraires dont le prestigieux Puliter, auteur de From Where You Dream : The Process Of Writing Fiction, mais qui avoue lui-même gagner plus en tant que professeur que par les ventes de livres. Et il s'agit d'un auteur dont le succès critique est tel qu'on a donné son nom à un prix littéraire...

From Where You Dream, que m'avait recommandé Emmanuel Guillot, est fort intéressant, d'ailleurs. Un peu pompeux dans l'expression, peut-être, et Butler a tendance à dénigrer a priori les auteurs qu'il considère comme "non littéraires" (et on sait ce que je pense de ce genre de distinctions). Mais c'est l'exposé le plus complet et rigoureux que je connaisse du processus à l'oeuvre dans le cerveau d'un écrivain au travail. Ce que Butler appelle le "cinéma intérieur", l'absorbtion dans la zone "chauffée à blanc" (white hot) où les images et sensations s'assemblent et sont transmutées en mots.

Le Rêve Américain des auteurs

Pour peu, en revanche, que l'écrivain soit au faîte de la gloire, eh bien, il n'y a que plus de raisons pour les éditeurs de le démarcher en ce sens au pays du You can do it! et du culte des célébrités. C'est le Rêve Américain appliqué à la littérature : si on veut, on peut, en y travaillant, et la réussite commerciale prouve la réussite tout court.

"Nothing succeeds like success," rien ne réussit comme la réussite : cette boutade, qui provient sans doute de la sagesse des nations, est attribuée par les Français aux Américains et par les Américains à... Alexandre Dumas !

Déjà, en 1966, Patricia Highsmith ouvrait la voie avec L'Art du suspense, mode d' Technorati, à la demande, comme de juste, d'un éditeur de manuels pratiques. Manuels de jardinage, de bricolage, ouvrages d'autoformation à divers métiers et examens... Ne manquait qu'un manuel d'écriture de best-sellers.

Petite anecdote : mon père m'a offert le livre de Highsmith en 1989, alors que j'étais une auteure encore fort jeune, avec quelques nouvelles à mon actif, et que je me plongeais la tête la première dans l'écriture d'un roman policier. Ce livre ne m'a pas appris comment écrire un roman à suspense, mais j'y ai trouvé matière à réflexion, food for thought, dans les chapitres sur la perspective du narrateur (qui vit et raconte l'histoire), la possibilité d'établir une atmosphère tout en décrivant le cadre et les personnages (il y a plus dans le choix d'un mot ou le rythme d'une phrase que ce qui est dit littéralement), et autres questions techniques.

Mais l'auteure du Cri de la chouette et de L'Inconnu du Nord-Express insistait aussi sur l'importance de la pratique : c'est en écrivant qu'on devient écrivain, il ne faut pas se décourager parce que le premier jet est décevant ou parce qu'on sêche au milieu d'une histoire. En fait, elle recommandait le truc de (si je me souviens bien) Raymond Chandler : toujours laisser une feuille engagée dans la machine à écrire avec un paragraphe inachevé, pour pouvoir reprendre au bond le lendemain, au lieu d'être confronté à l'angoisse de la page blanche.

Le King se met à table

Un autre manuel d'écriture très recommandable écrit par un auteur à succès : j'en ai déjà parlé,

c'est Ecriture, Mémoires d'un métier, par Stephen King.  Lui ne prétend pas vous apprendre à écrire un best-seller... Mais il explique sa conviction, appuyée sur son expérience de prof d'anglais (en lycée, avant de percer avec ses romans !) : si le talent ne s'apprend pas, en revanche, même une personne douée pour écrire risque de gâcher ses dons si elle ne les cultive pas.

Bref, l'apprenti auteur doit avant tout, lui aussi insiste là-dessus, pratiquer ! Et lire beaucoup, lire toutes sortes de choses, pour nourrir son imaginaire autant que pour acquérir des informations.

L'écrivain, pour Stephen King, est comme un charpentier dont les outils seraient ceux de la langue : vocabulaire, d'abord, règles élémentaires de la grammaire... et bien sûr tous les autres livres déjà publiés, la littérature et la Technorati générale. L'auteur de Sac d'os, de Mysery et de Coeurs perdus en Atlantide ne nous dit pas : "voici comment construire une histoire à succès", mais il montre, par de nombreux exemples, comment un auteur débutant peut apprendre d'oeuvres aussi différentes que celles de Lovecraft ou de Raymond Carver, de Trollope, Grisham ou J. K. Rowling.

Et, bien sûr, il donne des exemples tirés de sa propre expérience d'auteur ! Le passage le plus fascinant est celui où il traite compare un texte avant et apprès relecture : suppression de mots inutiles, de passages redondants, changements d'un mot ou d'une phrase pour apporter une précision ou mieux établir l'atmosphère, etc.

Ecrire ou fabriquer

On me demandera peut-être ce qui distingue, au fond, le livre de King ou celui de Butler des manuels de fabricants de best-sellers que je citais plus tôt  ?

C'est que des ouvrages comme ceux d'Elizabeth George et d'Orson Scott Card (et même celui de Patricia Highsmith, dans une certaine mesure) prétendent apprendre à des débutants comment fabriquer un roman à succès. Tandis que Ecriture comme From Where You Dream se proposent seulement d'aider ces mêmes débutants à s'améliorer dans la pratique de l'écriture.

Lequel, de ces deux types de livres, sera le plus utile pour une personne qui désire devenir écrivain ? Un vrai écrivain, j'entend, quelqu'un qui ne se contente pas de copier des formules qui marchent, mais qui a trouvé sa voix propre, qui raconte les histoires qui lui tiennent à coeur ? Je vous en laisse juge.

"Too many people want to have written."

  -- (Terry Pratchett, alt.fan.pratchett)


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