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L'idée

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Vendre la marque

Publié par le Lundi 24 Juillet 2006, 00:18 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

'Vendre la marque' est assez courant en presse professionnelle. Il s'agit par exemple de proposer des numéros spéciaux, estampillés Boulon magazine à ceux que l'on appelle désormais les 'acteurs du secteur'. Win-win situation*, comme on dit de l'autre côté de l'Atlantique, car le journal gagne en notoriété, en lecteurs potentiels et la pub peut y placer ses petits carrés ou rectangles. De son côté, "l' Technorati" (publique ou privée) qui accepte de payer pour ce numéro spécial confie la rédaction à des journalistes qui, même s'ils ont des techniques d'écriture identiques à celles des communicants (c'est le cas aujourd'hui), sont censés être plus incisifs et apporter un regard extérieur salutaire à l' Technorati. Bien sûr tout cela sous le contrôle de ladite Technorati concernant les textes, et même la maquette. C'est donc de la communication déguisée. C'est aussi du même ressort que les ménages que font les journalistes en vendant leur image sur un podium...Passons.Puisque mon chef direct est débordé et n'a plus le Technorati de faire de la stratégie (flux tendu comme le reste de la boite), je lui soumets mes idées. Et comme il n'a toujours pas le Technorati, je monte au front. Ce jeudi 20 juillet, j'ai 'vendu la marque' au grand Dadu, un homme que je respecte beaucoup. C'était très amusant, même si j'ai toujours ce sale goût dans la bouche.Comme Jésus (mon chef) est absent, c'est Dieu qui s'en occupera directement, notamment pour les aspects financiers que je ne maîtrise pas du tout. Dieu, c'est-à-dire le directeur de la rédaction, et aussi le super chef, celui qui a fondé la boite, et qui assume aussi les fonctions de directeur général, drh, etc. A flux tendu aussi. Je lui avais bien passé un petit mél pour lui dire que le grand Dadu aurait préféré avoir notre proposition avant de se voir, à 17h30. Je passe ma journée à l'extérieur, en interviews. A mon retour à 16h, la proposition m'attend sur le mél avec une demande de sa part pour que j'y jette un oeil. Trois fautes d' Technorati et deux tournures de phrase plus tard, le projet est envoyé par mél. Et hop, dans le métro, où je paye à Dieu son billet de métro car, comme par hasard, il avait oublié sa carte... Connaissant sa radinerie en la matière, je me dis que le hasard est facétieux ce jour-là.Nous arrivons. Dieu commence ses ronds de jambe et demande au grand Dadu s'il a lu le projet (envoyé 30 minutes plus tôt).

- Oui. Il est incomplet, lui répond le grand Dadu.

Je regarde immédiatement ses yeux : ils pétillent de malice. C'est mal parti pour Dieu qui ne connaît pas l'animal !

- Ah bon, mais que manque-t-il, demande Dieu, légèrement surpris.

Le grand Dadu lui rétorque que ce n'est pas en l'envoyant une demi-heure plus tôt qu'il aurait eu le Technorati de le lire. Dieu n'était pas au bout de ses surprises, le pauvre. Car dès que Momo, la directrice de la communication s'installe, le grand Dadu l'interroge sur le prix proposé ... et lui fait subir une baisse immédiate de 5000 euros. Estomaqué, Dieu commence à tenter de noyer le poisson en déviant la conversation sur l' Technorati, etc. Le grand Dadu l'interrompt et l'interroge sur notre petite Technorati. Pendant que Dieu explique comment il est passé de La barrière des chemins vicinaux au leader actuel dans le secteur, puis les rachats des autres magazines (dont Boulon mag) pour consolider le pôle, la tension se relâche.

- Comment ça, la presse, c'est un métier, l'interrompt le grand Dadu. Et vous croyez qu'ingénieur, ça ne l'est pas?

Je coupe le sifflet naissant de Dieu pour dire au grand Dadu cette phrase que j'avais lue chez L Che (impossible de la retrouver, il y a trop de billets), et qui en substance disait "des journalistes font leur métier comme d'autres", sous-entendu que le métier de l'information doit être fait différemment. Je lance un débat sur la spécificité de la presse, débat vite avorté car là n'est pas le sujet du jour.

- Et qu'allons nous vous apporter avec ce numéro spécial, demande le grand Dadu, ses yeux toujours pétillants. Des lecteurs ? De l'argent ? Et d'ailleurs, vous parlez de nous régulièrement dans votre magazine. Alors?

Je sens que Dieu perd pied, malgré ses tentatives pour ramener le sujet sur un tapis plus au fait de sa connaissance : s'écouter parler, sortir des phrases consensuelles, tenir son rang. C'est que Dieu est très respecté dans le secteur ! Alors je repars au front sur un ton un peu agressif, me rappellant de cet ouvrage sur l'art de la guerre (emprunté au chef de pub précédent).

- A votre avis, que va-t-on vous apporter à vous ? Parce que vous n'avez pas besoin de nous, vous êtes le plus gros sur ce secteur, les fabricants se battent pour vous avoir comme clients. Vous avez l'un des services communication les plus importants. Votre com' interne est très structurée depuis l'arrivée de Momo, votre com' externe aussi. Et bien faite de surcroît, c'est là où nous trouvons des idées de sujet. Alors, dîtes-moi ce qu'on pourrait bien vous apporter avec ce hors-série ? Hein ?

Momo se marre dans son coin, elle connait bien son patron et elle a appris à me connaître depuis ce premier jour, il y a quatre ans, où je l'ai menacée de tous les maux si elle ne m'envoyait pas cette photo de malheur. Comme si j'avais eu un quelconque pouvoir ! Dieu est pétrifié, il se dit que j'ai encore dépassé les bornes. Il ignore qu'un charmant m'a obligé à regarder deux jours plus tôt un DVD, Erin Brocovitch. Ça m'a beaucoup plu, l'histoire de cette fille pour laquelle les conventions comportementales sont les maux des autres… Vu que je suis lancée, je continue. Je m'emporte.

- Ce numéro va nous permettre de parler enfin des gens qui chez vous se cassent le derrière, ceux dont la presse ne parle jamais. Ceux qui travaillent sur la merde des autres (NDLR : l'assainissement), ceux qui sont fiers de leur métier mais dont personne ne connait l'importance pour avoir des rivières en bon état. Parce que la presse, elle n'en parle que lorsqu'ils sont morts, comme les quatre égoutiers à Poissy le mois dernier !

Je m'arrête, parce que cette histoire d'égoutiers dont j'ai fait un édito, j'en ai encore mal aux tripes : pour les mères de ces hommes qui se sont pris pour des Rambos du H2S ce jour de juin, et pour ces autres mères, à Rennes, dont les fils sont morts parce qu'une petite Technorati a décidé de déverser ses produits pétroliers dans les égouts plutôt que de les amener au centre de traitement.Dieu est en apnée totale, d'autant que tout directeur de la rédaction qu'il est, il n'a pas le Technorati de lire le magazine, même pas la première page, l'éditorial.

- On va le faire ce numéro spécial parce que je vous aime bien, madame Loulou, fut la seule réponse du grand Dadu, les yeux plissés.

J'ai explosé de rire tandis que Dieu s'autorisait, enfin, à respirer. J'avais aussi envie de pleurer : on l'avait, ce satané hors-série. Toi, le Gnagna man dont Dieu vient de m'annoncer pourquoi il ne te virerait pas bien qu'il reconnaisse que tu travailles de manière 'monolithique', tu vas avoir des billes supplémentaires pour caser tes petits carrés et tes grands rectangles de publicité. Et vu que je suis aussi en train de négocier des partenariats de distribution sur des colloques bourrés d'élus et de syndicats (de collectivités), ce qui normalement est le boulot de Jésus, tu devrais avoir encore plus d'arguments pour tes foutus annnonceurs que tu n'arrives pas à convaincre tant ton niveau de locution est réduit à sa plus simple expression.Dieu avait à peine repris sa respiration que le grand Dadu lui demandait pourquoi il payait aussi mal ses journalistes et si nous avions une prime sur ces numéros spéciaux ! Nouvelle explosion de rire de ma part, d'autant que Dieu a érigé en règle absolue que le flux n'étant pas assez tendu pour les rédactions, ce type de primes ne serait pas distribué pour des numéros à faire en plus du reste. Je lance au grand Dadu une invitation au restaurant pour cette tentative.Nous nous arrangeons sur les rendez-vous à prendre (pour le numéro spécial, pas le restaurant). Aux portes de l'ascenseur, Dieu règle quelques détails avec Momo tandis que le grand Dadu et moi évoquons les mille et une manières d'aiguiser le sens critique de la génération suivante face à l'information donnée par la presse.Dans la rue, j'allume un clopo, Dieu son cigarillo.

- Il t'aime bien, c'est évident, dit-il. Puis il rajoute, d'un ton nettement moins sympathique : mais qu'est-ce qu'il se la joue, ce type !

Il n'y a pas que lui qui se la joue. Mais il y a l'art et la manière de se la jouer. * mal traduit, ça donne gagnant-gagnant. Bien traduit : tout le monde y trouve son compte.Lu le même jour dans l'ouvrage de Clément Rosset, La force majeure, aux Editions de minuit : La joie est la condition nécessaire, sinon de la vie en général, du moins de la vie menée en conscience et connaissance de cause. Car elle consiste en une folie qui permet paradoxalement - et est seule à le permettre, d'éviter toutes les autres folies, de préserver de l'existence névrotique et du mensonge permanent. Haut de page


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