L'idée
Ce blog regroupe les articles publiées par des bloggeuses. Inscrivez-vous pour pouvoir ajouter des weblogs à la liste des weblogs tenus par des femmes qui ne sont pas des suivi de vie/journaux intimes.Merci de ne pas m'évangéliser
Source : Irène Delse, un blog d'écrivain
Ah, les joies du RER... et des transports en communs en général. C'est par définition ouvert à un large public. Conséquence, il faut s'attendre à tout.
Quoi, encore une histoire d'insécurité ? Et pourquoi pas de terrorisme, tant que vous y êtes ? Alarmistes, va. (Je précise tout de suite que je n'ai aucune intention de me moquer de gens qui ont été victimes du terrorisme, ou vivent sous la menace du terrorisme, d'autant que je peux sympathiser. Je vis à Paris depuis pas mal d'années, maintenant, et je pense toujours aux attentats de 1994-95 quand je passe devant une poubelle ou que je prend le métro ; tout comme je pense à ne pas me faire écraser en traversant la rue. L'ennui, c'est que les citoyens lambda sont souvent pris en tenaille entre des mouvements politiques ou religieux extrémistes, voire des groupes mafieux, et des gouvernements qui ont bien soin d'instrumentaliser ces menace pour justifier leur conception très spéciale des relations internationales. Sans même parler de l'exagération démesurée de la menace virtuelle dans le cas d'un attentat déjà déjoué... Le but des terroristes est d'effrayer les populations, et j'ai l'impression que nos gouvernements sont en train de les aider à y réussir. Mais refermons la parenthèse.)
Non, il s'agit ici de bizarrerie quotidienne, des casse-pieds ordinaires qui vous abordent avec leur cerveau fermement ancré sur une autre planète.
Métro Châtelet, direction un peu space...
C'était lundi matin, sur le RER B en direction de Robinson, entre Châtelet et Port-Royal. Un wagon banal. Sur le siège à ma gauche, une jeune fille noire plonge le nez dans un bouquin. À ma droite, de l'autre côté de la travée, un mec à l'air déjanté, le look rasta fauché, s'agite tout seul sur une musique imaginaire. Il fait peut-être frais dehors, mais à l'intérieur du wagon, on étouffe. Je sors mon éventail chinois à 1 € et commence à diriger l'air vers mon visage sans trop y mettre d'énergie. Je ne pense à rien de particulier. Le mec, toujours se balançant sur lui-même, se penche vers moi et lance : "Vous savez, l'éventail de Karl Lagerfeld, il est beaucoup plus classe !" Et il rigole. Je ne me prive pas de le foudroyer du regard en répliquant : "Et aussi beaucoup plus cher !"
J'aurais aussi pu, si j'avais été vache (et si j'avais cherché les ennuis), lui faire remarquer que des dreadlocks enfournées sous un bonnet bleu marine de la taille d'un sac de sport, ça donne aussi une drôle de touche. N'importe, il semble ravi de sa propre plaisanterie. Je ne sais pas ce qu'il avait fumé avant de monter dans le train, mais ça l'avait rendu joyeux...
Le mec repart dans son rêve intérieur. Je croyais en avoir fini. Hélas...
C'est au tour de la fille ! Elle aussi a quelque chose de très important à me faire partager. Oh oui ! D'une voix charmante, elle me demande : "Excusez-moi, madame, est-ce que vous êtes chrétienne ?"
Grandeurs et misères du prosélytisme
Pardon ? Là, totalement interloquée, j'hésite. Elle est sérieuse, ou c'est encore une blague ? Mais non, apparemment, elle est sérieuse. Son bouquin (maintenant que, tournée à demi vers elle, je parviens à loucher dessus) porte le mot "Dieu" dans le titre, et ressemble à une sorte de manuel.
Je n'ai pas envie de commencer des explications compliquées, alors je me contente de dire : "Non, pas vraiment. Mais pourquoi me demandez-vous ça ?"
"Parce que j'évangélise."
Ah, oui, tout s'explique... Nouvelle prosélyte, apparemment, la jeune fille essaie de m'entreprendre, pleine d'enthousiasme, de me parler de Jésus et tout ça. Aussi poliment (mais fermement) que possible, je lui dit que non, vraiment, ça ne m'intéresse pas de parler de religion, ça ne me manque pas. "Vous êtes sûre ?" Oui, oui, j'ai bien réfléchi. Et pour bien marquer que je n'ai pas à me justifier ni à m'expliquer, j'ajoute : "Vous savez, il y a différentes façons de vivre, différentes façons de penser, on n'est pas obligé de croire en Dieu."
"D'accord," convient-elle, "je respecte votre liberté." Mais on voit bien qu'elle est déçue.
Respect pour les athées
Eh bien, tant pis pour elle. Tant pis pour les prosélytes, de quelque religion que ce soit. Je ne me range pas au côté des athées militants, je n'ai pas jusqu'ici éprouvé le besoin d'afficher mon absence de religion, mais c'est exactement comme je l'ai dit à cette jeune fille : ça ne me manque pas. Je respecte les convictions d'autrui, même si elles me semblent bizarres, du moment qu'elles n'impliquent pas de violence ou de discrimination envers autrui. Mais j'estime avoir droit au même respect de la part de ceux et celles qui croient en une entité surnaturelle, même si mes convictions leur semblent bizarre à eux.
Priez pour moi si vous voulez, cela vous fera du bien à vous ; si vous êtes du genre rencunier, consolez-vous en vous disant que j'irai en enfer (quant à moi, puisque je ne crois pas en Dieu, ni prière ni menaces de l'Enfer ne risquent d'emporter ma conviction) ; mais de grâce, faites-le de votre côté ! Ne venez pas essayer de m'apporter ce qui, selon vos lumières, me manque. Selon les miennes, au contraire, ce serait plutôt vous qui auriez un trop-plein de crédulité. Et alors ? Vous aimeriez, vous, que je vous aborde dans le métro en vous demandant si vous êtes athée ? Et si non, d'essayer de vous faire renoncer à votre religion ?
C'était tout ce que j'avais à dire.
"Brother, you can believe in stones if you want, as long as you don't throw them to me!"
-- Dr Wafa Sultan, 21/02/2006, Al-Jazeera
"People don't live the Disc, any more than, in less hand-crafted part of the multiverse, they live on balls. Oh, planets may be the place where their body eats their tea, but they live elsewhere, in world of their own which orbit very handily around the centre of their heads."
-- Terry Pratchett, The Last Continent