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Publié par Irène Delse le Vendredi 20 Octobre 2006, 07:59 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Il m'épate, le ministre de l'éducation, avec sa croisade pour la méthode syllabique. Il semble absolument persuadé que sa méthode est la seule, l'unique, le saint graal, la pierre philosophale de l'apprentissage de la lecture aux enfants !

Bizarre, mais il n'y a que très, très peu de professionnels disposés à lui emboîter le pas...

Les enseignants du primaire, qui peuvent tous les jours se confronter à ce que les enfants font et apprennent, ne comprennent pas que l'on fasse fi de leur expérience. Idem pour un bon nombre de chercheurs en science de l'éducation, spécialistes de l'enseignement de la lecture, dont certains ont été sanctionnés pour avoir exposé, dans un cours d'IUFM ou un manuel à l'usage des inspecteurs, que les choses n'étaient pas aussi simples (oserait-je dire simplistes ?) que ce que les instructions ministérielles veulent bien le dire.

Même les parents, qui sont logiquement attachés à l'efficacité réelle de l'enseignement dispensé à leurs enfants, ne suivent guère les sirènes du B.A-Ba pour tous, et ce malgré l'appel assez extraordinaire d'une certaine association à dénoncer les enseignants qui ne font pas exactement comme leur enjoint le ministre.

Non seulement le ministre (et une minorité de parents, pédagogues et associations) sont opposé à l'usage unique de la méthode globale au C.P. (ce qui pourrait être raisonnable), mais ils veulent bannir de l'école primaire toute méthode qui n'est pas strictement syllabique, y compris les méthodes "mixtes" ou "naturelles" qu'emploient aujourd'hui environ les trois quart des enseignants, en faisant apprendre en parallèle à déchiffrer les lettres et à reconnaître les mots, histoire de s'adapter au mieux aux capacités des enfants et de stimuler leur intérêt pour la lecture tout en leur faisant acquérir des bases solides.

Ce qui n'a pas l'air tout à fait idiot, non ?

Tiens, au fait. La lecture. J'ai de ce côté-là une expérience un peu particulière, et qui ne devrait pas tout à fait aller dans le sens de M. de Robien. Aïe, aïe !

Quand j'étais petite, en grande maternelle, j'ai appris à lire toute seule, ou presque. D'une part, je baignais quasiment constamment dans l'écrit, sous toutes ses formes. Livres pour enfants qu'on m'avait mis dans les mains avant même que je sache parler (il y avait d'adorables livres en tissu lavable et indéchirable !), et puis bien sûr tout ce qui n'est pas destiné aux enfants mais que les enfants voient quand même : journaux, affiches, étiquettes, marques...

J'avais un jeu. À table, quand je m'ennuyais alors que les adultes parlaient, je grattais en catimini les étiquettes des bouteilles et pots de moutarde, ketchup, bière (des parents, hein !) et autres. Je n'avais pas le droit (c'est pas beau, hou !) mais cela faisait passer le temps. Parfois, quand je commençais à gratter une étiquette, je me rendais compte que ma mère me voyait, je faisais semblant de m'intéresser à ce qui était écrit dessus : "Dis, c'est quoi, ça ? C'est quoi, qui est écrit là ?"

J'ai appris comme ça des tas de mots amusants : Heinz, Amora, Suzi Wan, Stella Artois, Badoit, Pschitt... Et puis "poids net", "cl", "g" et "kg", "best before", "netto gewich"...

Il y avait les affiches, enseignes et marques, que je demandais aux parents de me lire sur le chemin de l'école, dans les magasins, etc.

Je passe sur les livres et bandes dessinées que mes parents me lisaient, et qui avaient tendance à être toujours les mêmes, au point que je savais le texte par coeur. Pendant qu'ils lisaient, je regardais les images, bien sûr, mais le texte était juste à côté de ces images, donc forcément, la disposition des lettres avait dû me devenir aussi familière que la signification des mots.

Tout cela, avant que l'école ne commence à m'enseigner à lire, ou même à déchiffrer. Ce qu'on faisait en maternelle, c'était du dessin, du chant, des jeux de langage ou d'attention, de l'expression corporelle, du travail manuel. Très bien : cela développe coordination, dextérité, aptitudes langagières, etc. Le dessin pouvait même servir à entraîner, en douce, au tracé de bâtons (les brins d'herbe), de cercles (soleils, coeurs des marguerites), de jambages (pétales)... Mais surtout, surtout, pas de travail intellectuel pour les chères têtes blondes !

Bon, cela passait bien sûr au-dessus de beaucoup d'entre nous. Moi, cependant, avec la complicité de mes parents (qui auraient bien aimé ne pas avoir tout le temps à me lire des choses !), je commençais à entrer dans le domaine des lettres. J'avais même l'ambition de "faire des livres", puisque les livres m'entouraient. J'ai raconté ailleurs comment je dessinais des histoires sur des pages agrafées ensemble, avant de maîtriser l'écriture.

J'ai aussi des souvenirs amusants et étranges de mes toutes premières "vraies" lectures. Un livre intitulé, je crois La Poupée Alexandra. L'histoire d'une poupée très belle, qu'une petite fille maussade et trop gâtée délaisse. Un jour, la poupée s'enfuit et a des aventures, devient écuyère dans un cirque, etc. Quand la petite fille, qui a eu entre temps divers malheurs, s'émeut de l'absence de la poupée, elle la recherche. Tout finit bien, la poupée revient et la fille et elle deviennent amies.

On me l'avait lu et relu, bien sûr. Et certains mots commençaient à, comment dirait-je, cristalliser dans mon esprit. Il y avait des mystères. Je savais que l'histoire disait "Hélène [le nom de la petite fille] avait mal à la gorge", mais curieusement, la proximité du o, du r et du e me suggérait à la place "mal à la robe", ce qui n'avait pas de sens. Ou bien pendant un moment, de façon troublante, je ne savais plus si la petite fille devait "soulever le couvercle" de la boîte pour voir la poupée, ou bien si elle devait "lever le couvert" en sortant de table, comme un enfant bien élevé, pour avoir le droit d'ouvrir la boîte. Comme il n'était pas dit qu'avant de recevoir la poupée elle était à table, j'avais bien dû conclure que c'était "le couvercle", qu'il fallait lire, non le couvert. Même chose pour le passage dans un Technorati, où le mot inconnu "écuyère" me suggérait à la place "cuillère", qui était bien plus familier. Mais une poupée qui devient cuillère, c'est tout de même bizarre... (Et encore, on avait bien le contraire dans un conte d'Andersen que l'on me lisait aussi à l'époque, où une vieille cuillère en plomb est fondue pour faire le petit soldat du même métal.) Là, il a fallu l'aide lexicale de ma mère, pour apprendre comment on appelait cette dame, sur l'image, qui dansait en tutu sur le dos d'un cheval.

Bref, peu à peu, et avec d'autres aventures livresques de ce genre, j'ai bien l'impression que j'étais en train d'apprendre à lire avec "la globale" ! Si de Robien savait ça...

La dernière année de maternelle, il est advenu que l'institutrice se rendit compte que j'étais "en avance", c'est-à-dire que je commençais à lire par moi-même, sans toutefois maîtriser ce que je faisais, mais avec une curiosité inextinguible. Elle a fait une chose toute simple, mais qui, à l'époque, était défendue aux enseignants de maternelle par les instructions ministérielles : me donner des exercices de lecture et d'écriture.

Eh oui.

Vers le milieu et la fin des années soixante-dix, on pensait qu'il était nocif pour les enfants de commencer à apprendre à lire avant le C.P., même s'ils montraient des dispositions pour... Brillant résultat : souvent, ceux qui avaient commencé tout seuls et qu'on avait découragés à cinq ans étaient devenus à six dégoûtés de la lecture et rétifs à son apprentissage.

Il y a des modes comme ça, en pédagogie. Ça va, ça vient, et puis on en revient.

Mais heureusement pour moi, madame G..., instit' de grande maternelle, avait à la fois du métier et une bonne dose d'indépendance d'esprit. Elle m'a sorti les Daniel et Valérie du C.P. et m'a fait m'exercer dessus, et à lire et à écrire, tant qu'à faire. Au moins, pendant ce Technorati là, je la laissais tranquille et elle pouvait s'occuper de diriger ailleurs du dessin, du découpage, de la pâte à modeler... J'apprenais avec d'autant plus de concentration que je me glorifiais d'être en avance sur les autres, ha, ha ! (Cela me rendait assez impopulaire, mais je m'en fichais, je l'étais déjà.) Et puis si je n'avais rien à faire pendant un moment, que ce soit à la maison ou à l'école, je pouvais toujours bouquiner.

Je ne sais pas, je ne saurais jamais, combien d'ennuis cette initiative de Mme G. m'aura évité par la suite. Car l'année d'après, comme j'entrais en C.P., je n'ai quasiment pas eu d' Technorati. L'instutrice est partie en congé (maladie, maternité ? je ne sais plus et qu'importe) juste après la rentrée, et n'a pas été remplacée. Pendant un an, et l'année de C.P., en plus, pas de cours, pas d'enseignant fixe, juste des surveillants qui faisaient la garderie pendant que les enfants dessinaient, jouaient ou se disputaient, au petit Technorati la chance. Disons que c'était la chienlit. Je me demande comment je n'en suis pas sortie allergique à l'école et à la société des autres enfants. (En fait, si, j'en suis sortie encore plus mal à l'aise qu'avant avec les gens de ma classe d'âge, et la pente a ét dure à remonter.)

Mais au moins, j'avais appris à lire avant, ce qui m'a permis l'année suivante, dans une autre école, d'entrer en cours élémentaire avec, comme on dit, "les bases" de la lecture et de l'écriture acquises. Et le goût de lire chevillé au corps.

C'est le genre de chose qui semble maintenant à peine croyable, mais c'est ainsi. C'était à Abidjan, il faut dire, et pas en Technorati, dans un établissement privé qui n'a pas les ressources de l'Education Nationale. Et loin des yeux du ministre de l'époque. N'empêche.

Heureusement que j'avais eu affaire, auparavant, à une institutrice qui se souciait plus du bien des élèves que des directives ministérielles.


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