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Où sont les scènes bonus du roman ?

Publié par Irène Delse le Jeudi 26 Octobre 2006, 07:53 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Il n'y aura pas de scènes bonus pour L'Héritier du Tigre. Non, désolée, inutile d'insister, je n'ai rien gardé qui vaille ! Rien que vous auriez envie de lire, du moins - ou arriveriez à déchiffrer...

Je sais bien, c'est désormais une tendance, chez les écrivains qui se servent d'Internet pour maintenir le contact avec leurs lecteurs : publier sur son site perso, sur son blogue, quelques chapitres ou scènes "coupées au montage" en bonus de leur roman.

Bref, comme pour les disques et les DVD, les "bonus tracks" (pour reprendre le terme de Christophe Renauld) se font une place non pas dans, mais autour des livres. Un site (y compris les blogues) d'auteur est l'occasion de tisser des liens avec les lecteurs fidèles, de les récompenser de leur soutien, de satisfaire leur curiosité sur le livre et son univers. D'où les bonus ou chutes du roman. La publication des premières pages est là pour titiller les internautes qui ne sont pas (encore) vos lecteurs, et la publication de bonus pour faire un clin d'oeil complice aux lecteurs chevronnés.

Aux Etats-Unis, c'est même presque un passage obligé. Du moins, les lecteurs l'attendent de leur writer favori. Et les éditeurs, qui, si l'auteur n'a pas de site officiel se chargent souvent de lui en bricoler un, suggèrent gentiment que ce serait d'excellent matériel pour étoffer ledit site...

Récemment, c'est Lois McMaster Bujold, l'un des auteurs vivants que je lis et admire le plus, qui s'est prêtée à l'exercice sur le blogue de son éditeur, Eos Books. Ou plutôt, qui aurait bien voulu s'y prêter, mais...

Si vous lisez l'anglais, c'est un texte à dévorer séance tenante, même si vous ne savez pas qui est Lois et n'avez jamais lu le moindre de ses bouquins. C'est une plongée absolument fascinante dans le modus operandi d'un écrivain, dans la façon dont elle conçoit, construit et rédige un roman à partir de (presque) rien.

Chaque auteur est différent, bien sûr. Mais ce qui est encore plus fascinant pour moi, c'est que je pourrais reprendre mot à mot quasiment la totalité de son texte !"Il y a autant de processus que d'écrivains, mais le mien ne laisse pas grand chose à couper qui soit lisible par d'autres yeux que les miens (et encore, pas toujours par les miens - c'était quel mot, déjà, ce gribouillis ?), parce que la plupart de mes modifications de la structure du roman se font au stade du plan de l'histoire [...]. Après la rédaction d'un premier jet, les modifications que je fais sont du genre une ligne ici, un paragraphe là, une réécriture partielle de telle scène, mais rarement l'éradication totale d'une mauvaise idée qui ne se serait pas arrêtée d'elle-même dans les premiers stades.

"[...] Je ne fais pas un plan au sens de m'assoir à mon bureau, un beau jour, et esquisser d'un seul coup le roman entier. Ma tête exploserait. Je garde des notes au crayon, dans un classeur, autant comme aide-mémoire qu'autre chose, et elles sont très désorganisées, car ce sont essentiellement des choses que je griffonne au fur et à mesure qu'elles viennent : des notes sur les personnages, le cadre, l'intrigue, des points techniques, toutes sortes de trucs. Je les collecte sur quelques jours ou semaines, rédige une scène, puis reviens au stade de cogitation pré-écriture [...].

"J'ai constaté qu'imaginer et écrire étaient deux phases différentes pour moi, deux utilisations différentes de mon cerveau. La conception me vient plutôt quand je suis détendue ou que je fais autre chose qui nécessite peu d'attention : marcher, faire le ménage. La phase d'écriture est intense et demande beaucoup de concentration, mais au stade où je m'assied finalement devant mon ordinateur, il s'agit en fait de transcrire le plan détaillé (et confus, avec des flêches dans tous les sens) rédigé au crayon sur du papier ligné, en corrigeant comme ça me vient. Je garde chaque unité élémentaire, généralement une scène, dans ma tête, jusqu'à ce que je sois satisfaite de la façon dont je l'ai fixée sur la page.

"[...] L'autre raison pour laquelle je n'ai pas de chutes disponibles vient de ce que j'appelle "Mon ami le blocage". Il ne s'agit pas de l'angoisse de la page blanche, qui peut être un état déprimant et débilitant, et durer très longtemps, mais d'une variété particulière de blocage où je suis simplement coincée sur un point particulier. J'ai parfois, et cela peut être une expérience bizarre, un résumé précis du prochain passage, mais la partie indéterminée, à l'arrière-plan de mon esprit, qui normalement me fournit en prose, refuse soudain de s'exécuter. [...] Et, pas trop infréquemment, je découvre au bout d'un moment que j'étais en train d'essayer d'écrire quelque chose de mauvais. Mauvais point de vue pour le narrateur, mauvais choix d'une péripétie, quelque chose qui, si je regarde en arrière une fois le roman terminé, aurait clairement (maintenant, mais pas au moment où je rédigeais) fait bifurquer l'histoire dans un sens totalement différent.

"J'ai appris à écouter mes plages blanches créatives, elles peuvent me dire des choses importantes. Parfois, c'est que je suis en train de me tromper !"La principale différence, chez moi, est que je rédige directement au clavier à partir de notes éparses, ou de ce que j'ai dans ma tête, sans passer par le stade du plan détaillé. Et que mes notes tendent à être encore plus désorganisées... J'ai essayé d'être ordonnée, mais ça ne marche jamais. Les notes que je prends finissent toujours dispersées entre divers carnets, feuilles volantes, post-its et même fichiers sur mon disque dur.

Le seul endroit où tout cela s'organise, c'est dans ma tête. Parfois, il m'arrive de rédiger un résumé d'une scène ou d'une succession de scènes, histoire de fixer mes idées. Ou bien je fais la liste des divers événements qui doivent (à ce que je peux voir jusque là) arriver, et dans quel ordre ils doivent arriver.

Un exemple concret avec L'Héritier du Tigre : l'espèce de chassé-croisé entre les différents groupes de protagonistes, à partir du passage de la frontière entre les deux provinces, Nayi et Shalinka, vers le milieu du roman. Pour éviter de perdre le fil, tout en continuant à raconter du point de vue de mon personnage principal, qui ne comprendra qu'à la fin tout ce qui s'était passé, j'ai fait un petit synopsis sur une feuille volante, que j'ai gardé à côté de moi jusqu'à avoir terminé ce passage complexe. Et pour mieux suivre sans m'embrouiller dans les détails, j'ai dessiné une carte rapide des régions traversées avec les itinéraires de chaque groupe.

Et comme l'auteure de The Sharing Knife, il m'arrive de me retrouver bloquée par une conception erronée de ce que je vais écrire ensuite. Un personnage dont je ne cerne pas encore bien le caractère, par exemple, et que je voulais faire réagir de façon inappropriée. Ou bien une erreur d'appréciation sur les conséquences d'un fait en apparence peu important.

Devant la dissonnance, mon esprit freine des quatre fers.

À ce stade, j'essaie différentes approches. Je tente de "vivre" la scène dans ma tête, ou de la visionner comme au cinéma, d'entendre les voix des personnages. Si je ne "sens" pas bien l'atmosphère d'une scène, ou si j'hésite sur ce que va faire un personnage à un stade donné, j'essaie de revenir sur les passages précédents, en me demandant si, en changeant tel ou tel détail, je ne réussirais pas à mieux me débrouiller pour la suite. Ou bien je corrige l' Technorati et le style de ce que j'ai déjà écrit. Parfois, je laisse un moment la prose et tente de capturer en vers l'humeur de mon narrateur, Yenshaya. (Car il écrit des vers, eh oui ! Et j'en écris. Une corde de plus à mon arc, bien que je préfère ne pas me dire poète.)

Bref, je tourne autour du pot, en laissant les éléments de l'histoire se décanter et cristalliser dans mon cerveau. Quand la mixture s'éclaircit, c'est que le récit est prêt : prêt à être rédigé. Je reviens à l'endroit où je l'avais laissé et je me remets à maltraiter le clavier.*   *    *" Ecrire, écrire, écrire, sans jamais s'aigrir. "

  -- Paul Désalmand, Ecrire est un miracle, éd. Bérénice


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