L'idée
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Source : Irène Delse, un blog d'écrivain
(Message résolument militant. Ceux qui n'aiment pas, revenez demain ou cliquez sur le billet d'hier.)
J'ai des amis (et aussi pas que des amis, mais de toutes façons, ceux-là n'ont pas envie de m'écouter) qui se frottent un peu les yeux devant la victoire de Ségolène Royal aux primaires du PS. Eh oui, près de 61% au premier tour, contre deux anciens ministres et "poids lourds" du parti, encore, c'est beaucoup ! Où va-t-on ? Que devient la gauche ? Ou du moins le PS ?
L'avenir le dira. Le PS a choisi, les militants ont voté, maintenant chacun se met en ordre de bataille pour 2007. Mot d'ordre : battre la droite. Pas impossible.
Première impression : malgré la satisfaction affichée (forcément !) par Nicolas Sarkozy et François Bayrou, ceux-ci vont avoir du mal à ne pas se faire ringardiser. Le ministre de l'Intérieur, parce qu'il est difficile pour un homme qui est aux affaires depuis près de cinq ans d'incarner la "rupture" ! Comme dit Zali, on ne peut que féliciter le ministre pour son culot... d'enfer. Et son positionnement de "fils rebelle" (selon l'expression de Daniel Schneidermann) vis-à-vis du "paternel" Chirac risque de se planter devant celle qui incarne une image maternelle. Forcément, il devra faire le grand écart : agressif et rebelle pour les jeunes loups de l'UMP , mais sans trop la jouer "karcher" pour ne pas effrayer les mères de familles. Pas simple...
Quant à Bayrou, certes, il était peut-être plus proche de DSK niveau programme économique, mais son électorat est très provincial, cette province qui semble se reconnaître dans la présidente de la région Poitou-Charente, celle qui a sorti Raffarin et ne manque pas une occasion de cultiver son image "enracinée".
Quitte, d'ailleurs, à donner des boutons aux bobos, aux parisiens, aux bouffeurs de curés qui s'alarment qu'elle ait seulement pu être élue dans une région où "il y a des calvaires à tous les croisements" (dixit un lecteur du Monde sous un article du journal en ligne, je n'invente rien) !
Alors, camarades, le peuple, ce serait plus simple si on pouvait le choisir à son image, hein ? Mais non seulement la France est restée largement rurale (ou rurbaine), non seulement le catholicisme (même tiède) y reste la culture dominante, mais le pays a vieilli. Démographiquement imparable. Et, modernité aidant, la vie publique s'est féminisée. Résultat : Ségolène Royal est en train de rejouer à la fois la force tranquille de Mitterrand en 1981 ET le coup de la génération Mitterand en 1988 ! Bref, un "peuple de gauche" qui va des classes moyennes à ces couches populaires que le PS a donné l'impression de perdre un peu de vue, ces dernières années, et qui est capable de regarder de l'avant sans renier ses racines. Pour citer encore Schneidermann, on assiste à la naissance d'une mythologie en direct.
Attention, je ne veux pas dire par là que hors du clocher, point de salut ! Parmi les soutiens et sympathisants de Ségolène que j'ai pu observer ici et là, il y a aussi bien Pierre Mauroy qu'Arnaud Montebourg, Julien Dray que Madonna (!), Dany Cohn-Bendit et la militante de gauche de terrain Kamizole, ma vieille marraine et Jamel Debbouze, des enseignants (mais si !), des lesbiennes, des étudiants, des retraités et des mères célibataires, des hommes anti-machisme, des écolos de conviction déçus des divisions internes des Verts, des partisans de la VIème République...
Elle n'a pas joué le jeu de l'appareil ? Mais elle a fait venir l'appareil à elle ! Pendant que les éléphants passaient leur temps à se surveiller entre eux, elle était déjà devant. Et comme un petit dessin vaut mieux qu'un long discours, je renvoie à celui de Deligne.
Elle parle d'ordre, d'armée, ces mots tabous à gauche de la gauche ? Mais on semble oublier qu'elle a rompu avec le milieu traditionnaliste dont elle est issue, faisant des études supérieures malgré les préjugés de son père, vivant en couple mais non mariée avec le père de ses enfants, avec qui d'ailleurs elle forme une équipe très soudée dans la vie politique , proche de celle de Bill et Hillary Clinton. Vous vous souvenez, en 1992, quand Bill retournait en sa faveur le reproche qu'on lui faisait, que sa femme était elle aussi en politique ... Mais comme ça, avait fait remarquer Clinton en plaisantant, vous en aurez "deux pour un" ! Son épouse était son meilleur partisan. Maintenant qu'Hillary est favorite du parti démocrate, c'est l'inverse. Et bien, mutatis mutandis, le topo est le même pour le couple Royal-Hollande.
La gauche de la gauche crie aujourd'hui haro sur la candidate du PS ? Rien de neuf ! C'est la candidate du PS, voyons, ces socio-traîtres pires encore que la droite parce qu'avec la droite, au moins, on sait à qui on a affaire, hein, tandis que ces sournois de socialistes seraient bien capables d'humaniser la société et de détourner le Peuple du sacro-saint combat contre la Bête capitaliste, celle qui mange les petits enfants au petit déjeuner avant de les exploiter dans les mines de sel...
Bon, là, j'exagère. Mais franchement, Autain, Laguillier, Besancenot, Buffet et Bové, ils auraient hurlé pareil si Fabius avait été désign é, et encore pire si ç'avait été DSK ! En fait, leur problème, c'est que la primaire du PS a fait la part belle à la démocratie interne dans un parti de gauche, et détourné d'eux le projecteur des médias. Pour une fois, ce n'étaient pas eux qui portaient l'étandard du "bon combat" contre la droite ! Argh ! Crions au loup... et faisons un peu le jeu de Sarko-Le Pen, au passage, à force de divisions en tout genre. Eh, camarades, si vous vouliez vraiment que le PS s'ancre à gauche toute, il fallait y prendre votre carte, présenter votre candidature et y voter le 16 !
En plus, pour les plus modernes des partis, ceux qui ont déjà intégré le leadership féminin dans leurs représentations et leur pratique, c'est légèrement gênant que le PS ait investi une femme . Eh oui, on ne peut même plus jouer cette carte-là...
Et n'oublions pas qu'elle a attaqué de front Nicolas Sarkozy sur le plan des principes, en y joignant du pragmatisme et une touche d'humanité : contre l'expulsion de familles d'enfants scolarisés en France , contre le tout-répressif dans la politique sécuritaire, contre "l'intervention d'un Ministre de l'Intérieur dans les affaires judiciaires en cours", récemment, et "l'exploitation des faits-divers pour en tirer des règles générales". En effet, ça méritait d'être dit !
Quant au reproche de Dominique Strauss-Kahn et ses partisans qu'elle n'aurait pas "exercé de grands ministères", ceux de Ségolène ont beau jeu de rétorquer : parce que vous croyez que l'environnement, la famille, l'école, ce n'est pas un grand sujet ?
Mais au fond, l'élection d'un président de la République ne revient pas à choisir un professeur d'économie ni un expert ! Dans la logique et l'esprit de nos institutions, le président est un inspirateur, quelqu'un qui définit de grandes orientations, qui tranche entre différentes priorités, tandis que le premier ministre gère les dossiers et met les mains dans le cambouis. Maintenant, on a compris que DSK courait pour le poste de premier ministre... (Ce pourrait ne pas être un mauvais choix : en tout cas, une façon de réconcilier le PS plus les Verts et une partie du centre-gauche autour d'un "ticket" moderne, social-démocrate et réformiste, ouvert sur le monde sans renier certaines valeurs et racines.) En tout cas, si ses partisans veulent d'un DSK aux affaires en 2007, il faut qu'il y ait un président socialiste en France , donc ils ont intérêt à voter massivement Royal. CQFD.
Parmi les reproches et causes de défiance envers Ségolène Royal, il y a qu'elle se serait convertie tardivement à la reconnaissance des droits familiaux des homosexuels, au contraire de DSK ou de Jack Lang. Mais au fond, c'est une conquête tardive aussi pour Fabius, Bayrou ou les communistes. Et plus que de faire un ralliement de circonstance dicté par les sondages, on peut noter que Ségolène Royal a pris le temps d'intégrer le sujet à une réflexion d'ensemble sur le renouveau du concept de famille, qui est désormais plurielle comme la société : famille nucléaire, monoparentale, recomposée, famille avec deux parents de même sexe , co-parentalité (pour les couples non mariés ou séparés qui exercent conjointement l'autorité parentale ainsi que dans le cas d'un couple homosexuel qui coopère avec une personne de sexe oposé pour engendrer des enfants qui auraient ainsi deux parents biologiques plus un parent légal), etc.
En prime, je note que toute la démarche de Ségolène Royal, depuis le site et les comités "Désirs d'avenir" jusqu'à sa déclaration très kennedyenne d'investiture hier ("Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays"), a consisté à faire jouer l'interaction et les relais entre militants et sympathisants, un peu à la manière des communautés en ligne. Vous avez dit Politique 2.0 ? Rupture avec la politique de papa ?
Alors, il paraitraît que ce ne serait que de l'affichage, qu'en fait elle est autoritaire, etc. Outre qu'on pourrait en dire autant de tous les candidats et candidates (on ne brigue pas la présidence sans être persuadé d'avoir quelque chose à apporter aux autres plus qu'à apprendre d'eux), il faut voir que c'est normal dans un processus de décision : d'abord on met les choses sur la table, on discute, etc. Vient le moment de trancher et surtout d'appliquer la décision, et là, avoir de la "poigne" peut ne pas être inutile !
Mais au-delà de ses références et de son programme, la "Madonne des sondages" a aussi (surtout ?) été choisie parce qu'elle est perçue comme celle qui a "la gagne" depuis qu'elle a conquis le "fief" du Premier Ministre de l'époque en 2004. (Ce que certains admirateurs de Raffarin ne lui pardonnent d'ailleurs pas depuis, mais qu'importe. On peut être sorti d'une grande école et rester naïf en politique . Croire que Bayrou écrit lui-même ses livres, par exemple. Ou confondre scrutin interne et élection au suffrage universel. Voire oublier que l'élection des représentants du peuple consiste à choisir parmi plusieurs possibilités, pas à faire avancer toute une classe au niveau du concours...)
Laissons de côté ces réactions grinçantes. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, et on a mauvaise grâce à prétendre participer à un débat lorsque votre "blog " consiste à l'expression de votre opinion à l'exclusion de tous commentaires d'internautes.
On a compris, jusqu'ici, Ségolène Royal a fait des atouts de ce qui aurait pu être des handicaps, sa candidature s'est nourrie des attaques de ses adversaires. Dans les débats, elle a amené le discours sur son terrain (l'échec scolaire, la délinquance, les familles, l'ordre juste, la démocratie participative...) au lieu de se placer sur celui des autres. Si ce n'est pas la marque d'un don pour le débat public tel qu'il se pratique aujourd'hui, d'une dynamique de conquête et de rassemblement du pays, alors, c'est que l'eau est sêche, le granit mou et les poules dentues !
En bref, une façon très simple de faire barrage à la droite et à l'extrême-droite, c'est de voter socialiste au premier. Pour éviter un second tour désespérant qui mettrait face à face la droite et l'extrême-droite, au diable les calculs alambiqués : choisissons Ségolène Royal, dès le 22 avril 2007 !