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Précarité professionnelle

Publié par le Jeudi 16 Novembre 2006, 19:17 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Texte repris du site du club de la presse Nord Pas-de-Calais. La presse, ça n'est pas que la gloire de voir son nom affiché à la fin du quotidien local ou national, ou dit en fin de reportage de 30 secondes au JT. C'est aussi ça. Le reflet d'une précarité grandissante chez les journalistes

Certes, les gens qui fréquentent le Forum Emploi annuel du Club de la presse le font généralement parce qu'ils rencontrent un problème. Il n'empêche, cette année encore le constat n'est pas réjouissant : piges stoppées sans préavis, statut salarié du journaliste de plus en plus remis en cause... Réflexions recueillies auprès d'intervenants (1) lors de cette édition du lundi 6 novembre. Photos : Soizic Baron Photo de gauche : Francis Coisne de l'URSSAF de Lille.

« J'ai l'impression que dans votre profession [de journaliste], la démarche naturelle n'est pas d'aller vers l'Inspection du travail pour se plaindre des conditions de travail, contrairement à d'autres. Pour d'autres salariés, c'est assez normal de venir s'informer de ses droits et de demander une intervention. » Tous les intervenants du Forum Emploi, organisé au Club de la presse lundi 6 novembre, ne côtoient pas des journalistes tous les jours. C'est le cas de Catherine Lance, inspectrice du travail (2). « Je me faisais une autre idée des journalistes, continue-t-elle. Je pensais que c'était une profession qui avait un certain prestige. Je m'aperçois que ceux qui entrent dans la profession subissent la même précarité [qu'ailleurs]. »

Catherine Lance, inspectrice du travail

Dans son édition du samedi 14 octobre, Le Monde mettait quelques chiffres sur ces impressions, titrant dans sa page « Médias » : « De plus en plus de journalistes, de plus en plus précaires ». Le tableau qui accompagnait l'article montrait ainsi (d'ailleurs avec une échelle trompeuse, qui pouvait laissait croire que les deux courbes suivaient une progression au même rythme) qu'entre 1994 et 2005, la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels a vu augmenter le nombre de journalistes de 29% (de 28.210 à 36.503) et le nombre de pigistes… de 59% ! Ces derniers étaient 6.889 l'année dernière, contre 4.327 onze ans plus tôt. Et encore, le phénomène est probablement fortement sous-estimé, puisque les pigistes sont précisément ceux qui ont le plus de mal à obtenir la carte de presse, à cause parfois de l'irrégularité des revenus, de leur faiblesse, des statuts imposés incompatibles avec la délivrance de la carte, etc. « Double mouvement de concentration et d'émiettement des médias » Cité dans ce même article du Monde, Daniel Deloit, directeur général de l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, estime que l'on « assiste à un double mouvement de concentration et d'émiettement des médias. Cela entraîne une paupérisation et une précarisation de la profession, masquées par quelques grandes réussites » (3). C'est un peu tout cela qu'ont pu noter les intervenants au Forum Emploi, par l'intermédiaire des cas personnels qui leur ont été exposés. « Il y a une paupérisation de l'activité, commente Francis Coisne, de l'Urssaf. Cela commence par les CLP [correspondants locaux de presse, NDLR] », lorsqu'ils effectuent en fait le travail d'un journaliste pigiste… sans en avoir le statut. Le code du travail (et a fortiori la convention collective nationale des journalistes) est très clair à ce sujet : le travail de journaliste entraîne un lien de subordination vis-à-vis de l'entreprise de presse et donc une présomption de relation salariale.

Pierre Desfassiaux, Secrétaire Général du SNJ et Maître Florent Mereau, Avocat conseil du club

Si on y ajoute la loi Cressard, qui accorde aux journalistes pigistes les mêmes droits que les permanents des rédactions, le statut de pigiste devrait être assez protecteur. Dans un monde idéal… En fait, mille et une astuces ont été développées pour contourner cette fameuse relation de salariat. Cela commence par les paiements en honoraires (parfois sans même que le journaliste ne soit habilité à émettre une facture). Cela se poursuit par les propositions de paiements en Agessa, normalement réservés aux auteurs. Plus récemment, c'est le portage salarial qui a fait son apparition dans la profession, installant un intermédiaire artificiel entre le journaliste et son employeur réel. Conséquence : certains employeurs jugent qu'une pige peut être stoppée à tout moment, sans procédure particulière. Aux yeux de la loi, si cette pige est régulière, il s'agit pourtant d'un licenciement, auquel doivent donc s'appliquer un préavis et une indemnisation proportionnelle au temps passé dans l'entreprise. « De plus en plus de gens qui créent leur activité par obligation » Francis Coisne observe le même phénomène dans le monde de la formation. « Tout le monde est formateur indépendant », ironise-t-il. « Depuis le temps que je fais [ce métier], je vois de plus en plus de gens qui créent leur activité par obligation. » « C'est sûr que [le salariat], cela entraîne des charges, mais jusqu'à preuve du contraire, c'est le client qui paie les charges. » « Les questions tournent beaucoup autour de la thématique des droits des pigistes », acquiesce Me Florent Méreau, l'avocat-conseil du Club de la presse (4). La seule solution pour se sortir de telles situations est d'engager une action en requalification de la relation de travail. Evidemment, lancer une telle procédure est généralement synonyme d'arrêt immédiat de la collaboration de la part de l'employeur… Ce qui explique que la plupart des dossiers sont le fait de journalistes qui n'ont déjà plus rien à perdre. Pour les Services fiscaux du Nord, Stéphane Gaucher a entendu le même type de témoignages : « De plus en plus, on demande aux gens d'intervenir en prestataires. Les pigistes ne sont alors plus reconnus comme salariés et doivent supporter les charges. » Il regrette cependant que ses interlocuteurs ne viennent se renseigner que quand un problème se présente. « Ce n'est pas de l'anticipation », remarque-t-il. « Globalement, la situation s'est beaucoup précarisée », analyse également Pierre Desfassiaux, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ). En dehors des cas déjà développés plus haut, il a également eu sous les yeux un contrat de travail de Technorati qui l'a profondément choqué. Abandon de tout Technorati pour la reprise de ses articles sur tout support, clause de non concurrence dans les zones d'édition de l' Technorati : rien n'a été oublié. « Ce genre de choses remet les pieds sur terre… », soupire-t-il.

Stéphane Gaucher, services fiscaux du Nord

« La même chose que chez les intermittents de l'audiovisuel » « J'ai retrouvé chez les journalistes un peu la même chose que chez les intermittents de l'audiovisuel, confie pour sa part Catherine Lance. Des jeunes passionnés par le métier qu'ils veulent faire, prêts à tous les sacrifices. » « C'est l'histoire des Technorati qui espèrent se faire connaître, se faire un nom, une reconnaissance de la part de la profession… », poursuit Francis Coisne. Leur réflexion va d'ailleurs plus loin. « Je me posais la Technorati de savoir pourquoi il y avait autant de jeunes formés dans les écoles pour arriver à un tel niveau de paupérisation », confie Francis Coisne. Quant à Catherine Lance, elle regrettait jusqu'à maintenant de trouver peu de sujets sociaux dans la presse. Elle ajoute désormais : « On entend peu parler le la précarité des journalistes dans la presse ». Ludovic FINEZ (1) Les intervenants au Forum Technorati du 6 novembre représentaient les structures suivantes : Assedic des Pays du Nord, AJC (Association des journalistes clausistes), Audiens (caisse de retraite et de prévoyance), CNRJ (Centre national de reclassement des journalistes), Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels ,Cram (Caisse régionale d'assurance maladie), Inspection du travail, Médiafor (organisme collecteur pour les droits à la Formation), Services fiscaux du Nord, SNJ (Syndicat national des journalistes), Urssaf. Participait également l'avocat-conseil du Club, Me Florent Méreau. (2) Catherine Lance s'exprime ici en tant que membre de l'Association de défense et de promotion de l'inspection du travail (ADPIT) (3) Sur ce sujet, on pourra se reporter à « Journalistes précaires », ouvrage collectif paru aux éditions Le Mascaret (Bordeaux), en 1998. (4) Le Club de la presse a passé une convention avec Me Méreau, donnant droit pour chaque membre à une consultation gratuite. Renseignements auprès du Club : 03.28.38.98.48.


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