L'idée
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Source : Le blog du bouchon blog du bouchon sur Technorati">
Un petit coup par ci, un petit coup par là. Il prend son temps . À l’approche des douze coups de minuit, personne ne va venir inspecter son rythme de travail. Ses délateurs potentiels dorment tandis que lui se doit de travailler. Comme ses frères et soeurs, il a trouvé cet emploi pour subsister à ses besoins et à celui de sa famille. S’il avait quelque spécialisation, il aurait pu travailler le jour, dans un emploi plus valorisant aux yeux de ses enfants. Ils ne mesurent pas son sacrifice, ils ne voient que cette image reflétée dans les yeux des autres. Ici, il n’a pas le choix de l’emploi . Le choix qu’il a fait appartient au passé ; celui de rester ou de partir. Peut-être a-t-il bravé les flots pour arriver dans ce monde qui lui dit ne pas l’attendre, peut-être pas. Un petit coup par ci, un petit coup par là. Il contourne le corps emmitouflé dans son sac de couchage, prenant garde de ne pas le réveiller. À quoi pense-t-il à ce moment, lui qui doit gagner à peine plus que celui dont il respecte le sommeil ? Peste-t-il intérieurement contre cet homme dont la seule existence lui génère plus de travail lorsqu’il faut faire disparaître ces débris de vie disséminés aux alentours, bouteilles ou journaux ? Compatit-il sur cet homme qui doit toucher un peu moins que lui sans mettre la main à la pâte ? Que pense-t-il de cette société qui l’a attiré par son éclat brillant mais dont il découvre la noirceur au quotidien ? Vient-il d’un village où personne n’abandonne ce qu’il tient en main ? Vient-il de ces villes où tout est laissé à vau-de-route. Rien sur son visage ne trahit ses pensées tandis que son balai trace son chemin sur le quai du métro. Un petit coup par ci, un petit coup par là. Mégots et bouts de papier sont rassemblés dans un même coin. Il se sert de deux morceaux de carton abandonnés par un quidam malpropre pour jeter le tout dans la poubelle dont le design ne laisse rien au hasard ni à la sécurité. Puis il fait basculer la partie métallique, prend le sac, et méthodiquement en vide le contenu dans un sac noir plus grand. Il jette enfin le petit sac vide dans le grand. Ses gestes sont mesurés. À raison d’une centaine par jour, il les exécute automatiquement. Un petit coup par ci, un petit coup par là. Il tourne avec son balai autour d’une paire de talons aiguilles immobile. Ne sachant comment convaincre leur propriétaire de se déplacer ne serait-ce que d’un mètre, il repart, son balai tel un guide devant lui. Des comme lui, le passant du lieu public ne les voit même pas. Ils n’existent pas, ils sont transparents. Ils font partie du mobilier urbain pour ceux qui n’ont d’yeux que pour eux-mêmes. Ils ne distinguent plus le balayeur de son manche à balai dans leur ronde nocturne. Un petit coup par ci, un petit coup par là. Et quand il rentre chez lui, éreinté par ses horaires, le courage lui manque de jouer son deuxième rôle, celui de père. Depuis qu’il est ici, il a délégué à son entourage. Depuis qu’il est ici, sa vie n’a plus qu’un sens : survivre.
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