L'idée
Ce blog regroupe les articles publiées par des bloggeuses. Inscrivez-vous pour pouvoir ajouter des weblogs à la liste des weblogs tenus par des femmes qui ne sont pas des suivi de vie/journaux intimes.“L’oeil d’un cyclone”
Source : Le blog de moi
C’est le titre d’un texte de Dominique Domiquin lu aujourdhui et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a éclairé ma journée. Daté du 1er août dernier, il relate certes essentiellement des événements qui se sont déroulés en Guadeloupe avec le LKP – avec l’éclairage qui va bien – mais pour une fois le parralèle avec ce mouvement qui a fait tache d’huile ici en Martinique ne serait pas qu’assimilation facile au risque d’être éronnée. Je ne sais pas s’il (le texte) a circulé par messagerie autrement que par la lettre de Madininart mais il mériterait d’être plus largement diffusé tant il permet de mettre les choses en perspective en profitant au passage pour tordre le cou à certains “mythes” qui ont la vie dure. C’est une véritable bouffée d’oxygène. Une vraie. Il est peut-être temps de sortir de cette chape de plomb de pensée qui se veut unique en remettant les points sur les “i” et les barres sur les “t”… en toute conscience. “Je n’ai pas le droit, moi, homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger réparations pour mes ancêtres domestiqués […]. Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères.” Frantz Fanon Les évènements du 1er trimestre 2009 me laissent un goût amer. Tout avait pourtant si bien commencé. C’était un jour banal d’un mois de janvier ordinaire. Je ne sais comment, au gré d’un zapping désabusé, je m’étais retrouvé scotché à mon écran télé, comme hypnotisé. Il nous arrivait quelque chose d’inédit, d’inattendu, de fondamental : Ça se passait au WTC à Jarry. Sous mon regard joyeusement incrédule, un bougre à cheveux grainés était en train de secouer le cocotier Guadeloupe. Et avec quelle vigueur ! Ça a duré des heures et ça m’a pourtant paru trop court, j’en redemandais ! Le gars avait la tchatche, i té ni lokans ! J’ai pensé en moi-même « Il nous ressemble ». Non, il ne s’en laisserait pas compter et son équipe soudée semblait bien déterminée à river leurs clous à l’Etat complaisant, aux politicards inconséquents et aux patrons voyous ! Au téléphone, parents, voisins, amis et collègues exultaient : Enfin nous allions faire sauter le couvercle du canari ! Enfin, nous allions stopper la macération et le manger-cochon dont nous étions tous complices pour initier autre chose, AUTREMENT. Pour moi, c’était limpide : des Etats Généraux se déroulaient sous nos yeux, créés et conduits par une société civile consciente de sa force et sachant ce qu’elle voulait ! Puis il y eut le deuxième jour. Et puis un autre…” La suite du texte est ici. Allez morceaux choisis avec les commentaires qui vont bien quant ils m’en ont inspirés d’autres que “ENFIN !” ou “OUI !”: “(…) Naïvement, je crus que la manœuvre consistait à mettre en évidence leur ineptie pour mieux avancer des propositions solides et préalablement mûries. Il n’en fut rien. Que le populo se délecte de la soudaine impuissance des puissants, c’est compréhensible et somme toute de bonne guerre lorsque le roi est nu. Encore eut-il fallu que cela ne durât point…Hélas ! le LKP n’avait que des questions. De bonnes questions mais pas de projet, pas de plan, sinon une plate forme de revendications où l’Essentiel côtoyait sans complexe l’Incongru. L’establishment étant inaudible, sans logiciel approprié, la foule n’ayant que sa colère et ses frustrations, le LKP s’enferra dans une morgue autiste et le préfet se leva. Aussi nationaliste soit on, il faut admettre qu’à cet instant précis, tout est parti en couille…” “(…) A grands coups de ka, les media nous tenaient « mobilisés ». En ces temps de solidarité neuve, il fallait nous faire oublier que nous nous privions nous mêmes du minimum vital : nourriture, essence, eau , électricité. Seule la propagande tenait lieu d’information. L’antenne était aux antiennes : « kolonyalis fwansé, lèsklavaj, pouvoir occulte béké etc. » ou encore : « LKP irréprochable, maîtrise ses dossiers, 10 000 personnes dans les rues, euh… 100 000 ? Deux fois, trois fois ? Adjugé ! » Le tout sur fond de « An pa mandé koulè nwè la… » (car notre couleur de peau est, qu’on se le dise, une malédiction Divine). Une nouvelle sémantique permettait toutes les audaces ; briser les devantures, molester personnels et gérants pour forcer la fermeture des magasins devenait « obtenir la solidarité du commerçant ». Par conséquent, tonton macoute se lisait : « Sécurité LKP ». Encouragé par moult journalistes « z’engagés », l’auditeur « pro lyannaj » s’extasiait d’avoir fouillé un igname, caressé un fouyapen, aperçu de la morue salée ou savouré un bon jus de mangouste…” “Si comme tout le monde j’ai été emballé au départ, c’est parce que persistent des injustices criantes. Nous les connaissons tous. Mais d’où viennent-elles réellement ? Quelle est leur véritable nature ? Qui les alimente plus ou moins consciemment ? La départementalisation était-elle un moyen ou une fin en-soi ? Notre épiderme est-il la substance de notre être ? Quel est notre rapport exact à l’Afrique ? Les luttes pour la valorisation ou la diffusion de la langue créole, la sauvegarde de notre patrimoine culturel, historique et naturel se gagnent-elles malgré l’opposition de l’Etat ou avec son soutien logistique et financier ? Si nos artistes ne vivotent que de subventions, n’est-ce pas parce que nous préférons le made in USA à toute œuvre issue de nous-mêmes qui ne fasse ni danser ni pisser de rire ? Vivre sur un bijou d’île, département français bénéficiant des fonds européens, au cœur de la Caraïbe, en plein continent américain, est-ce une punition ou une chance ? Je n’ai pas de réponses toutes faites. Mais puisque nous sommes fins prêts à regarder la réalité au mitan de ses cocos yeux, an nou ay ! Confrontons, débattons, mais AVANCONS ! (…)” “Pourquoi je n’ai pas participé à la longue marche du LKP : Si l’on m’avait proposé de manifester clairement pour l’indépendance de la Guadeloupe, en me démontrant objectivement en quoi ce choix était viable et profitable au plus grand nombre (même à très long terme), en m’expliquant de façon réaliste quels sacrifices concéder et comment m’y préparer. Si les leaders du mouvement m’avaient montré l’exemple en renonçant à leurs privilèges de fait ; j’aurais marché. Si, selon une autre logique, on m’avait proposé de manifester simplement en tant que citoyen français pour la stricte application du droit en Guadeloupe, la justice sociale, la fin des monopoles incontrôlés, de l’économie de comptoir, un développement local harmonieux, le contrôle de l’utilisation des fonds publics, la mise à-plat des évènements de mai 67, du dossier « chlordécone », la détermination d’une politique culturelle ; j’aurais marché. Mais la cohérence et la vérité toutes bêtes n’étant pas suffisantes, le LKP adopta une position étrange : « La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo, Fo yo ban nou 200 éwo, pas nou osi nou sé fwansé ». Il m’offrit au passage d’attribuer toutes mes frustrations, mes échecs, mes lâchetés, mes compulsions (et j’en ai moult) aux persécutions dues à ma couleur. Or ma couleur ne m’a rien fait. Elle me sied à merveille. M’encourageant à briser mes chaînes, on m’a proposé le rôle peu reluisant du maître-chanteur affectif de la marâtre-patrie orfèvre en leçons droits-de-l’hommistes. J’avoue que c’était tentant… mais je ne suis plus un enfant. Depuis quand la souveraineté nationale est-elle une revendication camouflée ? Elle n’a besoin ni de postiches ni de cosmétiques. Pas plus que la Révolution ne se brode en filigrane. Lorsqu’on a des convictions tranchées et solides, on les assume, on va au bout, comme le Che ! Sinon on donne l’impression d’avoir quelque chose à cacher ou à perdre… Alos an pa maché. La superbe idée d’un vrai Lyannaj a pâti du flou de sa rhétorique socio-sociétalo-nostalgico-séparatisto-racisto-vendetto-ambivalo-semirévolutionnaire.” “Et l’identité dans tout ça ? A en croire une certaine doxa, identité et nationalisme son forcément liés. Nous n’aurions qu’une alternative : Soit être des larves assimilées singeant Vercingétorix sous l’œil hilare des vrais hexagonaux caucasiens. Soit bouter le françois leucoderme hors de l’île pour enfin renaître de kréyol, de léwoz et de salaisons. Je n’ai pas la vanité de prétendre connaître l’identité guadeloupéenne mais pour moi, la vérité s’étire subtilement bien loin de ces deux extrêmes. Car où qu’on cherche à se tourner demeure le legs indivisible de l’esclave, du maître et des amérindiens. Comment pourrait-il en être autrement ? Notre société est née de la monstruosité humaine ; celle du Caraïbe qui massacre l’Arawak avant d’être décimé par le blanc, celle du nègre qui vend le nègre à tous ceux qui achètent, celle du blanc qui avilit le nègre durant des siècles, celle du nègre qui n’a plus besoin de personne pour se maintenir la tête sous l’eau .” Non, je n’ai toujours pas de commentaires et je crois qu’avant de recopier tout le texte (qui est long et argumenté) je vais simplement vous en citer un dernier extrait et vous conseiller encore une fois de lire ce texte dans son intégralité… puis de le relire. Et de le relire. “J’ai bientôt quarante ans. Durant ma scolarité en Guadeloupe du CP au lycée, nul ne m’a enseigné que mes ancêtres étaient gaulois. Des enseignants noirs et blancs m’on appris ce qu’était un karakoli et qui était Louis Delgrès. J’ai appris à dessiner mon île dès l’école primaire et à localiser sur la carte la Soufrière, le nom des villes et des rivières principales. Mon prof de philo Laurent Farrugia m’a fait lire Fanon, Sartre et appris l’origine arabe du mot « Guadalupe » : Oued el Oub : « la rivière de l’Amour »… vaste programme !) Il nous a présenté en classe Hector Poullet, grand samouraï de la langue créole. Mon bac en poche, sans que personne ne m’y pousse, j’ai choisi une fac à Trinidad, fait un crochet par Fouillole puis achevé mon parcours dans une école de jazz à Paris . J’ai simplement tiré profit de tout mon environnement avec le seul soutien financier de mes parents pas riches… Honnêtement, ce qui me choquait le plus à l’époque, c’était l’absence totale de nègres sur les publicités au bord des routes ; Sa ou mandé mwen an ké baw ! Si j’avais su…” Commentaire ici par contre. Cette contre-vérité (celle qui veut qu’aux antilles l’assimilation soit institutionnalisée à un point tel qu’elle va jusqu’à nous obliger à apprendre que nos ancêtres étaient Gaulois) à de nos jours encore la vie dure. Certains vous jureront sur la tête de ceux qu’ils ont de plus chers au monde que c’est le cas… C’est faux. Ailleurs peut-être (je ne sais pas) mais pas aux Antilles. Pour ceux qui n’y croient toujours pas j’ai des spécimens de livres d’époque. Bref. Merci Dominique Domiquin. Vraiment. Merci.