L'idée
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Source : Kozeries en dilettante
C’est le jour d’après celui d’un abandon inexpliqué, le jour d’après la Saint-Valentin, le jour d’après celui où l’on apprend le nom de son père ou le nom de la femme de son père, le jour d’après un week-end dans la Manche.[1]
Le jour-où anéantit, le jour d’après construit. Je ne suis pas celle que je suis aujourd’hui en dépit d’eux mais avec eux, j’ai même envie de dire grâce à eux ; ils font partie constituante de moi. Et cette partie-là j’y tiens, je sais que c’est celle qui m’a donné l’esprit ouvert aux différences, aux vies qui ne marchent pas dans les clous, aux porteurs de passés douloureux qui éternuent parfois dans leur assiette, devant tous les invités. Sans mon jour-de-Manche je n’aurais sans doute pas su garder mon calme lors des confidences enfin libérées d’une amie sur son enfance et lui apporter le soutien dont elle avait besoin pour ce premier jour de parole nue.
Le jour d’après avoir appris le mariage de mon père et les jours suivants, j’ai été obsédée par le fait que je ne porterais jamais son nom, plus encore torturée de me dire que j’étais le seul témoin que ce lien existait, que d’ici quelques générations rien ne permettrait de remonter de moi à mon père. Ce lien qui ne peut se présenter sous l’évidence d’un nom ou d’une vie commune, je l’ai construit, je le sais aujourd’hui, par d’autres signes de filiation, où Queneau assura le plein rôle du parrain. L’année du jour-où et du jour-d’après, j’étais en cinquième et notre prof de français nous lut (était-ce en février ?) de larges extraits de Zazie dans le métro . Je l’avais déjà lu, mais c’est cette année-là qu’il prit tant d’importance. Mon père avait connu Queneau chez Gallimard, lui avait prêté son nom pour un personnage, le film issu de ce roman était sorti l’année de ma naissance et la petite comédienne qui incarnait Zazie me ressemblait. Je devins Zazie, j’adoptai Pérec en tonton farfelu, l’Oulipo m’entoura de ses jouets. Je m’introduisais dans une famille de mon père.
Le jour-où anéantit, le jour d’après est une chance de commencer à apprendre vraiment à marcher. Notes [1] Tiens, tous sauf le dernier en février…