L'idée
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Source : Kozeries en dilettante
Il y a plus de vingt ans, une collègue nous avait invités mon compagnon et moi à dîner chez elle. La conversation roulait sur des sujets peu réjouissants car nous venions d’apprendre qu’un autre collègue était atteint d’un cancer à évolution très douloureuse. Ludmila semblait plus affectée par la perspective de l’agonie de notre camarade que par sa mort prochaine. Elle répéta plusieurs fois, martela devrais-je dire, qu’il serait hors de question pour elle d’avoir à traverser pareille épreuve et que si pareil pronostic lui échouait elle ferait ce qu’il faudrait pour s’y soustraire.
Pour mieux nous en convaincre, entre poire et fromage, elle ouvrit une sorte de petit placard au-dessus de la cheminée et en sortit un revolver qu’elle déposa au centre de la table. Je revois sa position devant la cheminée, la porte fermée par un rideau métallique noir qu’elle relève, je me souviens d’un éclat de métal argenté. Après rien, des voix qui s’assourdissent d’un « il est chargé ? » et d’un « évidemment » et un bourdonnement. Il paraît que je suis devenue blanche comme un linge et que je tremblais sans pouvoir détacher mon regard de l’objet, malgré les interpellations directes. Il paraît que je n’ai recommencé à respirer que quand Ludmila a remisé l’arme dans son réduit. Je n’ai pas revu d’arme depuis, sauf dans des films, sans que cela me fasse d’effet spécial et j’ai déjà été mise en présence de fusils sans en perdre mes moyens. En revanche il me suffit d’imaginer me retrouver en présence d’une arme de poing véritable pour avoir une envie folle de disparaître dans un nuage de fumée à l’autre bout de la planète.
J’ai fait un cauchemar cette nuit. Un homme tentait de s’évader d’une prison glauque à souhait et criait sur un ton de forcené que si on ne le libérait pas il allait se foutre en l’air. Le canon d’un revolver était plaqué contre sa tempe. Mon boulot c’était d’empêcher qu’il appuie sur la gâchette, c’était extraordinairement important, je n’avais pas le droit d’échouer. Je me suis réveillée paniquée, mais vraiment paniquée, pas seulement poisseuse et angoissée comme cela m’arrive parfois. Il paraît que j’ai évoqué ce revolver. Je me suis rendormie mais ce matin il était encore attaché à moi et ne m’a pas vraiment quittée depuis. J’ai pensé à ma réaction de cette nuit, elle a fait remonter ce souvenir chez Ludmila et j’ai réalisé que lorsque mon amie phobique des crocodiles[1] décrit son état quand elle tombe par hasard sur une photo de crocodile, ça ressemble furieusement à ma réaction d’il y a vingt ans ou à celle de cette nuit.
Je ne sais pas comment l’expliquer mais je sens que c’est différent d’une peur rationnelle devant un truc pouvant se révéler dangereux.
En fait depuis ce matin je tâche de me débarrasser de l’association d’idées qui m’est venue en m’interrogeant au réveil. J’ai la voix de Jeanne Signoret qui demande « hop hop, je vous dis revolver et vous dites… ? »
Papa. L’Audi. La boîte à gants.
« On était à cran tous les trois avec tout ça. Je l’aimais trop fort. Je les aimais tous les deux. Elle et moi on a voulu mourir. Je ne sais pas si c’était vrai mais il disait que lui aussi, que ça n’était plus tenable. Il avait un revolver dans sa boîte à gants et il nous l’a souvent montré à elle ou à moi et il disait qu’il allait se foutre en l’air. Heureusement il n’en a jamais parlé devant toi. »
Je n’arrête pas de me demander si, vraiment, je ne l’ai jamais vu ce foutu flingue, ni jamais entendu mon père parler de se foutre en l’air. Ou ma mère. Ou ma soeur. Et je ne suis pas sûre du tout d’avoir envie de le savoir. Notes [1] Oui, je sais, ça semble comme ça sans importance quand on vit en France mais malheureusement pour elle, elle est phobique aussi des photos, reportages, images de crocodiles et même les polos Lacoste lui sont difficiles à regarder.