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Quelques signes

Publié par le Vendredi 20 Avril 2007, 01:56 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Le seul bruit du bureau est le clic clic clic rapide des doigts sur le clavier pour pondre du signe, encore du signe, toujours du signe (d'ailleurs je tape tellement vite que j'écris souvent singe à la place de signe ...). Et brusquement, je m'écroule sur l'écran. Ou plutôt sur mon les tas de papiers que j'entasse à droite et à gauche du clavier. C'est mieux le tas de papiers, ça absorbe la bave qui peut accompagner l'AVC.Comme Fraisette est en Technorati (en train de bosser lui aussi sur son dossier technique, sujet de la première querelle entre nous depuis deux ans), les autres fourmis travailleuses ne s'en aperçoivent pas immédiatement. Il n'y a qu'en traversant le bureau pour se rendre à la machine à café à côté que l'une de ces fourmis pousse un hurlement, tétanisée devant cette masse ne cliquetant plus mais alignant sur l'écran une succession ininterrompue de caractères typographiques. Les lignes s'enchaînent, incompréhensibles, discontinues.La nuit dernière, j'ai rêvé que je mourais.Ça m'arrive parfois de rêver que je meurs. Je passe ma nuit à gémir sur mon sort, ou plutôt sur la tristesse supposée se dégager des visages au dessus de la tombe (alors que j'ai depuis très longtemps opté pour l'incinération ; c'est complètement idiot !). Ou alors je rêve que le bouchon meurt, ou que c'est mon père ou mes soeurs. Jamais ma mère. Le matin, je me marre en pensant aux nombreux scénarios que j'ai déroulés tout le long de la nuit, changeant la cause du décès, ou la cérémonie. Scénario A, je suis renversée par une voiture. Scénario B, je suis renversée par un cycliste. Scénario C, je suis renversée par un piéton (l'auto-dérision n'est-elle pas salutaire ?).Mais hier soir, je n'ai pas choisi la scène 1, la 2 ou la 3. Je ne me suis pas vue dans une tombe, prête à être descendue parmi les lombrics attendant patiemment que l'usure fasse son affaire du bois pour y pénétrer et se repaître.Et je n'ai pas pleuré non plus.J'assistais juste à ma propre mort, spectatrice sans sons ni émotions.En position verticale, j'ai arrêté d'y penser quand mes pieds ont fait floc floc dans le couloir dans deux centimètres d' Technorati en provenance des toilettes. 1 goutte toutes les 10 secondes, ça en fait du volume d' Technorati qui ruisselle contre la colonne des eaux usées. Monter discuter avec la voisine, qui ne parle pas français. Faire réveiller celui qui parle français. Apprendre qu'il a demandé à quelqu'un de venir réparer l'arrivée d' Technorati. Aujourd'hui, demain ... il n'en sait rien. Tout ce qu'il consent à dire est qu'il s'agit "de l'un d'entre nous". Tendance communautariste.A la vue des murs nues et des pièces quasiment vides, comprendre que pour certains, transformer son chez-soi en petit nid douillet ne veut rien dire. Sont-ils de passage ? Dans l'escalier, Marie et sa peau ébène me dira que non. Ça fait tellement longtemps qu'elle est ici qu'elle repère tous les passages. La sentinelle de l'allée, à tendance communautariste aussi.Pourtant, les moments que m'avait concoctés Nadela, bonne chère et théâtre au programme de ce mercredi soir, m'avaient permis d'oublier un peu le reste (ma vie actuelle, pourquoi ai-je tant de mal à écrire ces trois mots ?). Couchée tôt pour rattraper la nuit d'écriture précédente (d'ailleurs, là je devrais déjà être en train d'écrire sur des sujets sérieux, partager ce savoir dont j'ai capté les couches superficielles avec les lecteurs du journal ou faire un éditorial forcément génial). Ça m'est tombé dessus comme ça, sans crier gare, en plein sommeil.Puis j'ai encore oublié ce rêve (puisqu'il ne s'agit pas vraiment d'un cauchemar). La journée penchée sur mon clavier, aussi précieux que mon stylo plume, à le faire cliqueter. Tu veux combien de signes en page 15 ? 1685 maximum ? 30 minutes plus tard entrecoupés de trois coups de fils, d'une cigarette et d'un café sous la guitare de Joe Bonamassa, elle avait 1636 signes. Page 7 ? 2500 signes c'est ok ? Une heure, deux cigarettes et un café plus tard sur les notes planantes de Pink Floyd, 2555 signes sont sur le serveur. Il faut tant rattraper le retard, mon retard (si, si, c'est Jésus qui le dit) à écrire ces six pages d'ouverture pour ce numéro spécial. Bon c'est vrai qu'il a tout le reste à faire en même Technorati. Mais là, l'urgence est de mise.Mince, pourquoi ont-ils embauché ce maquettiste ? Il est rapide, très rapide et en plus il monte les pages très bien. Ses sympathiques yeux vifs ne m'empêchent pas de le détester cinq minutes pour son savoir-faire puis de l'inviter à nous rejoindre pour le café post-prandial. Depuis qu'il est arrivé, le rythme s'accélère. Mes doigts cliquètent plus vite. Vu qu'il est payé à la journée, et cher puisqu'il passe par l'intérim (Dieu aurait-il compris que la qualité se paie ?), il serait de mauvais ton de le voir se tourner les pouces. Au moins cela m'aide-t-il mentalement à me reconcentrer sur ces signes, à être efficace.C'est bizarre, je n'ai pas de Technorati identiques dans mes cinq premières années de pige. Et pourtant, je pondais bien plus de signes, et souvent la nuit. C'est ce sentiment aujourd'hui d'être une pondeuse de signes (un pisse-copie selon le terme consacré) tout en ayant le reste à faire et toutes ces pressions à gérer. J'aime toujours autant écrire, d'ailleurs je plaide pour garder un contact avec mon secteur en ne me cantonnant pas à écrire les pages d'actus à chaque numéro. Mais là, j'ai l'impression d'être over-loaded. Ça déborde de partout. Il va pourtant falloir que je m'y habitue, l'ère étant aux économies. La grogne identique du Gnagna Man sur ces plannings descendus des nimbes directoriales ne changera pas la donne.Je ne devrais pas me plaindre. Je devrais me sentir protégée dans cette boite où l'Excellence des journalistes (ils ont même compté les maquettistes, secrétaires de rédaction et chef de fab pour rallonger le nombre. Après tout, on a tous le statut de journalistes) est placardée en grand sur un panneau que l'on ressort à chaque salon professionnel. Affiché derrière le bar du stand. Les lettres se détachent, éclatent à la gueule de tout quidam qui vient prendre des renseignements. Ebloui, il s'aperçoit qu'il a sûrement des tas de choses à raconter à l'un de ces journalistes d'Excellence.Dans notre type de presse mais ailleurs, c'est encore pire. Le seul entretien que j'ai passé m'en avait donné un aperçu. Et j'écoute ce que me disent mes confrères. L'une, dans un hebdomadaire tellement connu qu'il en est en kiosque (alors que le reste de la presse se cantonne à l'abonnement vu la spécificité des thèmes traités), avait fait un dossier de quinze pages à l'automne dernier en cinq jours. Certes leur tout nouveau rédac-chef, tout auréolé de son précédent titre, grand public, leur avait bien signalé qu'ils écrivaient comme des pieds. Et s'était fait rétorquer que pour faire un bon papier, il faut un peu de Technorati pour l'écrire et au moins 24 heures pour le laisser reposer. Je me souviens de cette rédac-chef, seule sur son mensuel, un peu comme le nôtre. Il lui était plus facile de faire écrire ses annonceurs et de faire du copier-coller des communiqués de presse pour la rubrique actualités. La majorité du type de presse qui m'emploie s'y est d'ailleurs mise : c'est moins cher à produire (par rapport à des pigistes) et ça fait toujours de l'information. J'entends à nouveau les remarques de celui-là, pour lequel j'adorais écrire auparavant, qui passe ses week-ends sur le journal. Je me rappelle de ces journalistes en finance qui se lèvent à 4h du mat pour pondre la revue de presse de l'agence. Une rencontrée, une entendue, qui ne rêvent que d'une chose : travailler normalement. Et bien.Alors pourquoi me plaindrais-je d'une boite où l'Excellence et la Qualité sont érigées en panneau presque publicitaire ? Où on nous demande de faire des économies, en tout cas les rédactions les plus petites, mais sans montrer au lecteur qu'on va initier le copier-coller ici et là. Et si on réussit à enclencher ce phénomène sur les petites rédac, on peut ensuite forcer la main de la grosse rédac qui fait pour l'instant le gros dos face aux mesures. Qui d'eux ou de nous sont des intouchables ?Ce 17 août 2006 où Jésus a commencé à me parler de l'avenir du journal et des efforts à consentir. Le jour de mes 38 ans. Cet automne où, déambulant sur ce salon professionnel, je confiais à Vincent, le guitariste du feu groupe de blues,  ou à JR, confrère m'accueillant confraternellement sur son stand, un verre de Sauterne à la main, mes stress entre deux sillons de larmes que je tarissais à la vue d'une personne connue. Comment font-ils, ceux-là qui doivent gérer des situations nettement plus génératrices de stress que la gestion d'une microscopique rédaction ?Des centaines de milliers de signes se sont alignées depuis janvier tandis que l'ambiance véhiculait des menaces professionnelles pas si graves quand on les considère a posteriori (le fou s'est calmé) et du chantage familial. Des allergies, des infections et du kilogramme en hausse pour résultat visible.Et l'invisible qui tente des sorties, comme ce soir chez le médecin. La difficulté à sortir des mots, qui ne sont après tout que quelques signes. Les larmes formant des flaques sur le cuir de son bureau quand je lui explique les cauchemars que fait le bouchon depuis plus d'un mois. "Votre fille est intelligente, m'a-t-il dit. Ne tentez pas de lui cacher la situation, expliquez lui. Elle ne doit pas penser pas que c'est de sa faute". Le B.A.ba parental élémentaire que je n'ai pas respecté, consacrée que j'étais à lui faire bonne figure et rester pour elle présente dans l'attention et l'amour quotidiens. Et cette foutue ligne Maginot que je me suis construite : pour elle, qui a besoin de calins, d'histoires et de plein d'autres choses, je dois être là. L'immaculée image de la Mère.Est-ce normal d'en avoir ras-le-bol de son métier en vieillissant ? Moi qui pensais que j'allais passer ma vie professionnelle à me faire plaisir (et incidemment à m'amuser) ! C'est rapé.This is a man's world. De James Brown et Betty Newsome. Repris en guitare par David Gogo dans Halfway to Memphis (2001). Ecouter un extrait. Haut de page


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