L'idée
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Source : Le blog du bouchon
Elle me demande de lui montrer sur un plan où ont eu lieu ces race riots. Je lui fais part de ma surprise, avouant ne pas avoir entendu parler d'émeutes raciales sur Paris . Elle précise : celles qui se sont passées en banlieue. Puis rajoute : n'étaient-ce pas des Africains et des Arabes qui se battaient contre la police ?Si elle avait été américaine, j'aurais compris la raison de sa question . Mais non, elle vient du même pays que cet homme, de passage 16 heures sur notre territoire pour un baiser. Lui a quitté ce pays où il a grandi, a refait sa vie dans un autre où la question raciale est toujours d'actualité. En ce début de soirée, face à Notre-Dame éclairée, il écoute, un sourire aux coins des lèvres, son petit blotti contre lui. Lui a appris à voir ce qu'il en était réellement, à comprendre les cultures, à en voir les limites et les bienfaits. Lui est un citoyen mondial qui aimerait vivre sur les trois continents.Je lui explique, à elle, qu'à mon avis, il s'agit plus de ghettos sociaux que d'une histoire raciale, même si des éléments, telle l'inégalité face à la recherche d'emploi , doivent être considérés. Une comparaison des systèmes d'intégration à la française ou à la britannique est toujours utile pour ceux dont la langue maternelle, dans tous les sens du terme, est l'anglais. Notre système n'est pas meilleur que le leur, il n'est pas pire ; il est différent. Il a, comme le leur, des avantages et des inconvénients.Sur son insistance, je lui montre sur un plan de RER où sont ces ghettos. Elle veut savoir, pour ne pas y aller. Je me demande ce que ferait cette femme , recouverte d'or acheté Dubaï et de soie indienne, dans l'une de nos banlieues. Elle qui ne connaît de la France que les salles de congrès et, le soir, le trajet à pied entre Neuilly et les Champs-Elysées pour se délasser.Nous partons dîner. Nous parlons de niveaux de vie. Elle me demande mon salaire et le loyer d'un appartement. C'est effectivement le meilleur moyen de voir comment s'en sortir, ou non, dans une ville, dans un pays. Elle pousse des cris d'orfraie, compare avec son pays niveau de vie. Je lui indique que je suis dans la moyenne, que beaucoup gagnent moins que moi, que certains gagnent plus. Elle s'étonne bruyamment que la vie soit si chère, ici. Cet après-midi, elle a vu un homme originaire de son continent ; le métropolitain est devenu sa maison. Elle ne comprend pas pourquoi autant veulent venir ici, à leurs risque et péril. Elle parle de solidarité dans les villages de son pays. Elle dit aussi que l'écart entre les plus pauvres et les plus riches s'y creuse un peu plus chaque jour.Elle me livre sa vision de la France : là où le système des droits d'auteurs compositeurs est le abouti contrairement à son pays où la moindre décision, même dans ce domaine, est soumise au bon vouloir politique , là où le système social aussi, là où il fait bon vivre sous certains angles, mal vivre sous d'autres. Elle et lui parlent de création d'entreprise , de fabrication locale ou là-bas. La délocalisation n'est pas l'apanage des seuls Occidentaux. Elle passe au sujet de l'homme africain, qui écrase la femme sous sa domination mentale. Dans son pays, beaucoup de femmes occupent un poste à haut niveau. Selon elle, selon lui qui approuve, seules celles qui n'ont pas d'homme ont une bonne estime d'elles-mêmes. Elle me parle de cet homme, africain de Genève, avec lequel elle tente de faire un enfant. Le destin de ce dernier, si tant est qu'ils arrivent à faire coïncider ovulation et rencontre, est déjà tracé. Elle me fait penser à ces féministes d'avant-garde, celles qui ont permis aux femmes comme moi d'avoir ces acquis, celles qui menaient leur vie tambour battant, entre pragmatisme et idéologie.L'heure vient de partir. Un RER direct la ramènera-t-il dans son hôtel? Je lui montre comment utiliser un ticket. Elle vient de rater son train, il lui faudra attendre 30 minutes, résultat d'une ligne C fragmentée en de multiples destinations. Elle ne veut pas attendre. Elle ne veut pas comprendre les correspondances. Elle préfère le taxi qui lui paraît plus sûr.De sa fonction, elle a le mordant, la rage de ceux qui défendent les autres. De son origine, ses origines kenyanne et pakistanaise, elle ne livre que des anecdotes, comme ce nom qui fait se retourner les services de sécurité des aéroports. Elle ne dit rien sur ce nom synonyme de défense des droits de l'homme dans son pays. De par son statut, cette femme de l'upper middle class africaine (le terme français est la grande bourgeoisie) erre d'une capitale à une autre, d'une vision préfabriquée à une autre. Elle est étrange, à la fois si futile et si complexe. En montant dans le taxi, elle m'a réaffirmé son invitation : come with your daughter, you'll be my guest. Je lui demande, à lui, si elle lance ses invitations comme d'autres des mots. Il me l'affirme : j'y serai accueillie à bras ouverts. J'ai envie d'y aller, pour observer ce petit monde très fermé. Je garde l'invitation dans un coin de mon esprit. Peut-être, un jour ...L'essentiel n'est pas là en cette heure tardive. L'essentiel se trouve dans ces quelques heures avant son départ, à lui. Ça n'est jamais assez, c'est déjà ça. Haut de page