L'idée
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Source : Carnet de bord
J’étais dans le tram hier soir, il était tard. J’étais assise à côté d’une fille qui tapait des sms à toute vitesse sur son téléphone. Elle avait une odeur douçâtre pas agréable. Une odeur de parfum cheap de fin de journée. Sur un siège à ma droite, une vieille dame. Une de ces vieilles à la peau étrange, très lisse, sans ride, sans marque. Elle avait un gros cabas noir à ses pieds, elle en sortait régulièrement un mouchoir papier, avec lequel elle se frottait le nez, un nez énorme, qui soutenait des lunettes énormes. Elle avait de ces lunettes à grosses montures brunes, qui laissent une marque douloureuse sur l’arête du nez. J’ai aperçu un tas de vieux journaux dans son cabas, d’autres mouchoirs et un foulard aux couleurs criardes. Soudain la vieille a pris une boîte à lunettes dans son sac, l’a ouverte et en a sorti une autre paire de lunettes grosses, brunes et moches. Elle a ôté celles qu’elle portait et a mis la seconde paire. Puis elle a plongé la main dans son cabas noir et a sorti un numéro de Point de vue, avec le prince Harry en couverture. Elle l’a feuilleté un long moment et je voyais bien que, malgré ses grosses lunettes, elle avait de la peine à lire, à déchiffrer certains caractères imprimés en blanc sur le fond très coloré des pages brillantes du magazine. A deux arrêts avant le mien, un gars est monté dans le tram. Il est monté lentement, en prenant son temps et en s’assurant qu’on le voyait. Il avait un look étrange, blouson court, jeans noirs avec un large ourlet et des chaussures plates vernies. On l’aurait dit sorti d’un drôle de remake de film de James Dean. J’aurais aimé mettre mes lunettes de soleil pour me planquer et mieux observer les gens. Mais des lunettes noires quand il fait nuit, c’est un peu ridicule. J’aime bien le tram à cette heure-là. C’est plein de gens fatigués qui n’ont qu’une envie: rentrer chez eux, être hors de ce tram qui les chahute et n’en finit plus de rouler sur la route de Chêne. Un tram, c’est un lieu de rencontres forcées. Quand on a une voiture, c’est comme un cocon égoïste: on ne partage rien, on est replié sur soi. On peut partager le trajet avec un ami ou des membres de la famille mais on reste dans son cocon rassurant. Le tram (et les autres moyens de transport en commun) nous oblige à nous frotter aux autres, à briser la coquille. On se rend compte, quand on est assis à côté d’un inconnu qui a l’haleine qui fouette ou un chihuahua baveur sur ses genoux, que fondamentalement, on est un animal social. Et c’est la confrontation avec l’autre - cet autre qu’on craint ou dont on recherche la compagnie-, c’est la promiscuité des corps que permet le tram qui contribue à sa manière à faire de nous des êtres civilisés, des êtres capables de composer avec ceux qui partagent notre environnement, notre rue, notre ville.