L'idée
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Source : Le blog du bouchon
Oeillet du poète© www.auJardin.info Cinq jours auparavant, Jésus me convoque. La salle de réunion est occupée par ceux que nous appelons désormais les clandestins de la maquette (un tiers du bâtiment étant en travaux, il a fallu se serrer là où l'on pouvait). Direction : la cour où il m'explique que mon job comporte deux facettes équivalentes : sentir l'information et les tendances, gérer une équipe, et notamment Joli-coeur qui démarre non pas dans le métier mais dans la fonction de essère unique. Elle doit apprendre à faire respecter les délais, faire le lien avec les différents services, etc... Sur le dernier bouclage, Joli-coeur a compris ce qu'était le travail dans une rédaction minuscule qui a fait, ce mois-ci, autant de pages que la grosse rédaction bien fournie en plumes dont elle venait, comme seconde essère. Joli-coeur a souffert de notre organisation tendue.Jésus me parle de ces nombreux moments :- où je suis absente du bureau, en train de dormir sur un siège face à des orateurs sentir les tendances florales dans un colloque,- où je vais ouvrir ma grande bouche dans une conférence de presse en accusant les barons de la filière oeillet de manipuler des chiffres en conférence de presse comprendre ce dont il ressort exactement,- où je me fais inviter à déjeuner pour mon prochain livre sur la comparaison des fondants au chocolat dans la capitale avec lesdits barons pour négocier une exclusivité et sentir l'état du marché,- où je pars en voyage de presse pour faire la sieste au milieu d'une serre d'oeillets revenir avec un reportage croustillant sur la lutte biologique contre le thrips, la petite bête qui terrifie les cultivateurs de l'oeillet. Jésus m'ordonne :- d'arrêter pendant quelques mois d'aller sur le terrain. Je serre les doigts.- de me faire envoyer les dossiers de presse pour mieux me consacrer à la bonne marche du magazine (et aussi des hors-séries faits en parallèle). Ma bouche fait la moue.Jusqu'ici, je peux lui dire oui même si je n'en pense pas moins.- et de faire du moins qualitatif.Association malheureuse de deux mots que je trouve antinomiques. Même pour signaler la sortie de la dernière pelle de jardinier avec GPS intégré, je n'arrive pas à faire du moins qualitatif. Tandis que je lui répondais "oui, oui" avec ma bouche, mes yeux faisaient "non, non".
Je me sens enchaînée à mon bureau. Journaliste d'opérette, je veux bien. Journaliste de salon, je refuse.
Bracelet d'esclave en vente sur Ebay
************ Cinq jours plus tard, Jésus reçoit un appel de l'organisateur de Oeillets Portugal, le salon de la profession dans ce pays où explose ce marché. En l'occurrence, c'est une organisatrice qui lui demande si la rédaction de Oeillets magazine ne peut pas organiser trois conférences. Il me convoque et m'explique la situation : Dianthus barbatus, notre homologue portugais, bloque la distribution de notre numéro spécial sur le salon. Ils ne veulent pas partager le gâteau publicitaire et mettent tous les bâtons qu'ils trouvent dans les roues du cheval de Troie carrosse savamment mené par Jésus. En organisant ces colloques, nous pourrions ainsi distribuer ce numéro bilingue à ceux qui viennent y assister, c'est-à-dire le gratin décisionnel portugais et espagnol. Et qui dit décisionnel dit prise d'abonnement et ordre de publicité. Il m'explique la différence entre l'entrisme et le noyautage. Il rajoute que Fraisette ne lui semble pas assez extraverti pour assumer l'animation. Ce en quoi il n'a pas totalement tort, Fraisette étant un journaliste discret, consciencieux et silencieux, contrairement à sa chef.Je souris.Nous regardons voler une mouche qui en profite pour faire trois petits tours en vrombissant.Je lui rappelle sa position cinq jours plus tôt.Il se dandine sur son siège.Je lui demande si j'ai droit de faire travailler une pigiste bilingue (et même multilingue) sur le hors-série Portugal pour nous décharger un peu. Après un bref échange, nous négocions à un tiers du numéro qui lui sera donné. Son prénom floral ira comme un gant dans l'enquête sur les 1001 manières de garnir un pot.Je lui dis que ce colloque est vraiment très intéressant pour gagner du lectorat, lui précise que nous ne sommes pas compétents sur l'un des thèmes a contrario des deux autres, où je sais exactement qui mettre à la tribune puisqu'après cinq ans d'exercice, je connais les fleuristes du monde entier.Il me demande si je sais organiser un colloque.Je lui réponds que, suite à la décision sans appel de Dieu, je me suis retrouvée dans le comité de pilotage de quelques colloques où je mets un peu d'ordre quand tout le monde se bat sur les thèmes à définir. (J'ai d'ailleurs découvert qu'ils m'invitaient pour ça : orchestrer les idées des autres. Rédac-chef, chef d'orchestre : même combat !)Il me demande si je peux les animer.Je lui réponds qu'à la date où ils se tiennent, je préfèrerais organiser l'anniversaire de ma fille. Vérification faite, c'est juste après l'anniversaire du bouchon. (Penser à prévenir la Reine-mère).Il décroche son téléphone, appelle l'organisatrice, et lui dit ok mais que "attention, hein ! faudra pas que ça lui occupe trop de temps car elle est déjà sur plein de projets". Je prends le téléphone et indique à l'organisatrice les éléments dont j'ai besoin pour démarrer un des deux colloques (entre temps , elle avait trouvé un pigeon pour attribué le troisième). Elle rechigne à me payer le billet et l'hôtel, ainsi qu'aux intervenants. Je lui dis que vu les finances de Fleurs éditions (Jésus tique), ça risque de ne pas être possible d'y aller par mes propres moyens. Elle va voir ce qu'elle peut faire, au sein de son groupe, un conglomérat international d'organisation de colloques (2200 collaborateurs dans 29 pays : sûrement une PME...).Quand je quitte le bureau, je fais mine d'ouvrir un bracelet d'esclave imaginaire à mon pied, lui dit que mes ancêtres ont su se libérer de leurs chaînes, fais le geste de déposer ledit bracelet sur son bureau avec un petit cling sonore, et le remercie avec une courbette de me laisser faire des choses plus intéressantes que la tenue d'une équipe.Au moment de franchir la porte, je lui fais une liste des tâches à venir :- écrire 9 pages dans un numéro spécial sur la culture d'entreprise où règne le grand Dadu- écrire 8 pages dans ce hors-série (au lieu de seize, c'est déjà ça de gagné)- écrire une quinzaine de pages dans le prochain numéro et lire trois fois (arrivée de l'article, BAT, BAT final et traceurs) les 40 autres pages- finaliser le projet de newsletter électronique- finir de classer les 150 derniers termes techniques dans des catégories d'un guide, puisque, comme le reste, seule la rédaction détient le savoir du secteur. (Penser à avancer sur la catégorie Ensachage)- négocier les exclusivités sur plusieurs enquêtes du secteur en cours pour consolider notre position de véritable fournisseur d'informations- prendre une semaine de vacances en avril avec le bouchon.Je ne sais pas comment il fait pour me supporter ainsi que mon cinéma.A mon retour dans la rédaction, Joli-coeur et Fraisette sont surpris de ne pas voir un petit nuage noir se balader au dessus de ma tête, comme c'est souvent le cas après une convocation à l'étage en dessous. Dans un éclat de rire, je leur apprends ce qu'il y a à faire et indique à Fraisette que nous allons nous y atteler à deux. J'ai cinq mois pour lui apprendre le métier de rédac-chef ... Haut de page