L'idée
Ce blog regroupe les articles publiées par des bloggeuses. Inscrivez-vous pour pouvoir ajouter des weblogs à la liste des weblogs tenus par des femmes qui ne sont pas des suivi de vie/journaux intimes.Roses rouges
Source : Le blog du bouchon blog du bouchon sur Technorati">
En sortant du métro, elle lève les yeux vers l’écran. Avec plaisir, elle note son avance, fait d’autant plus remarquable pour l’événement. Sur le quai, le train se fait désirer tandis que des messages proférés d’une voix atone annoncent une mise à quai imminente. Son gros sac noir posé sur le bitume du quai bée un peu, laissant entrevoir une bretelle en dentelle rouge. Dessous, une couronne de roses rouges repose sur une robe blanche, pliée dans une longue traîne du même ton. Elle avait tout choisi avec soin, souhaitant graver l’après-midi et la nuit qui s’ensuivrait dans sa mémoire. Cela fait des années qu’elle attend ce moment. Sa vie entière est désormais suspendue à ce moment.Son maquillage de circonstance ne parvient pas à cacher l’anxiété qui se lit sur son visage. Et si elle arrivait en retard ? Perdue dans ses pensées, elle ne voit pas le train qui arrive. Autour d’elle, c’est la course au marchepied. Sur ses côtés retentissent cris de ralliement des tribus ou de colère, injures et halètements pour hisser de lourdes valises. Un sourire enfantin sur ses lèvres, elle n’entend que des murmures d’admiration. Elle se voit, toute de blanche vêtue, marchant dans la travée centrale de l’église au bras de l’élu, auréolée de la lumière qui traverse les vitraux et des notes diffusées par l’orgue. Elle écoute cette musique des anges depuis si longtemps maintenant !Un coup de sifflet retentit, interrompant brutalement son rêve éveillé. Les portes claquent, mais le train prend son temps pour amorcer son grand voyage. Sur le quai, grands-parents, amis et amants agitent des mains souriantes, émues ou tristes.Sa bouche laisse échapper un cri. Elle se précipite sur une porte, tente nerveusement de l’ouvrir. Rien n’y fait, les loquets sont insensibles à sa rage. Des crissements de métal déchirent l’air tandis que le train se met en mouvement. La poignée de la porte dans une main, son sac d’où s’échappent les sous-vêtements et la traîne dans l’autre, elle court à côté du train. Quelques regards suivent avec étonnement cette femme , si magnifiquement apprêtée, tenter de gagner le marchepied. En s’écrasant sur le sol, la couronne disperse des pétales de roses qui flottent quelques instants dans le sillage du train.Arrivée au bout du quai, elle se laisse choir sur son gros sac noir dont la fermeture éclair est désormais ouverte. Deux gouttes brillantes naissent dans l’ombre de ses cils, suivies par d’autres, de plus en plus nombreuses. En s’insérant dans les coins de sa bouche carminée, elles croisent un sanglot qui en sort. Venu des tréfonds de sa gorge, une longue plainte porte toute sa douleur. Elle n’y sera pas ; c’était le seul train de la semaine !Gisant au pied de son rêve avorté, elle n’entend pas le chef de gare qui dépose la couronne mutilée à ses côtés. « À la semaine prochaine », lui murmure-t-il. Regagnant son bureau, il fait la liste de ses affaires à empaqueter pour sa semaine de vacances . Un peu de brise marine et quelques brasses dans un océan encore froid ne seront pas de trop pour son âme lasse. Mentalement, il note qu’il lui faudra prévenir son remplaçant, un petit jeune dont la vision de la vie se résume à celle de sa famille nouvellement formée avec la naissance du premier.Le soir, après avoir rassemblé ses effets dans une valise trop grande pour lui, il noie la solitude qui l’habite depuis que sa femme l’a quitté dans les remous d'une bouteille ambrée. Elle voulait se marier, lui non. Un jour, elle est partie. Dans son armoire ne manquaient que les atours dont elle comptait se parer. Une robe blanche avec une longue traîne, des dessous féminins en dentelle rouge, et cette couronne de roses rouges qui avait provoqué l'ire fatale de l'élu malgré lui.© Louise Aimée Haut de page