L'idée
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Source : Le blog de moi
“Aviez-vous entendu ce mot avant les derniers événements de Guadeloupe ou de Martinique ? On n’entend plus que lui : les journalistes de la presse écrite et des médias en général n’ont plus que lui à la bouche. Il y a urgence, il est vrai. Comment nommer ceux dont la colère risque de faire tache d’huile : après la Guadeloupe, la Martinique, puis la Guyane, à qui le tour ? On les appelle donc les Ultramarins. Du point de vue linguistique, le mot est parfait. Construit sur le même modèle qu’«ultramontain» aujourd’hui peu employé sauf en cours d’histoire, il correspond sous forme d’adjectif ou de substantif à «outre-mer» avec cet avantage dans son utilisation d’être plus pratique, d’éviter une cascade mal sonnante de «de», plus court que «nos compatriotes de l’outre-mer» ou, plus long encore, que «nos compatriotes des départements et territoires d’outre-mer». Va donc pour «ultramarin»… N’empêche, c’est un néologisme que les dictionnaires ne mentionnent pas ; nul doute qu’il sera pourtant intégré dans les prochaines éditions : à tout le moins, l’outre-mer y aura gagné un adjectif, à cette crise… Mais cet adjectif ou ce substantif sont-ils aussi innocents qu’il y paraît à première vue ? Si les sonorités et la composition même du mot, conformes au génie de la langue, sont d’une évidence, d’une familiarité immédiate à qui les écoute, pour peu seulement qu’il soit francophone, en est-il de même quant à ce dont il est porteur ? Rien n’est moins sûr : plus de Martiniquais, de Guadeloupéens, de Guyanais (tous citoyens français de plein exercice, rappelons-le !), mais des gens de l’au-delà des mers, étrangers s’il en est. «Ultramarins» ou la figure de l’Autre : on se croirait revenu à l’âge de Christophe Colomb et de ses marins qui ne savaient ce qu’il y avait au-delà des mers… Et c’est vrai qu’ils sont différents et étrangers à notre monde . N’ont-ils pas leur propre langue pour dire l’inacceptable, ce qu’on leur fait subir ? Ils ne disent ni «loi du marché», ni «libéralisme», ils disent, sans se soucier de fioriture, «pwofitasyon», belle conjonction de «profit» et d’ «exploitation» : ce n’est pas mal, quand on y pense et c’est appeler un chat un chat et le capitalisme (ancien ou réformé) une belle saloperie. Les Ultramarins sont autres parce que, passé un certain seuil d’insupportable ou de difficilement vivable, on n’est plus reconnaissable. C’est ainsi et c’est une grâce que peut-être nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes. Ultramarins si lointains et si proches, ultramarins nos frères.” («Les Ultramarins», une expression disséquée, Giorgione, 24 heures Philo) Très intéressant. Deux précisions cependant. Nous disons “loi du marché” et “libéralisme” mais pour l’occasion le collectif guadeloupéen s’est surpassé au point de s’improviser linguiste puisque “pwofitasyon” est un néologisme créole. Vous pouvez chercher; vous ne le trouverez dans aucun dictionnaire créole. Ce mot dont tout le monde semble s’accorder à penser qu’il restera - et même que “profitation” sa forme “francisée” risque de passer dans la langue vernaculaire avant peut-être une entrée fracassante dans le dictionnaire ? – ou plutôt l’expression dont il a été tiré a donné lieu à des traductions diverses et variées dont certaines valaient leur pesant de cacahuètes. “La traduction de Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), titre du comité qui dirige la grève en Guadeloupe pose manifestement de gros problèmes à la presse : pour L’Huma du 16 février, cela signifie “Collectif contre les profits outranciers” (CPO), mais pour Le Monde , c’est “Ensemble contre les profiteurs” (ECP). Et nous avons lu ailleurs “Ligue contre l’exploitation” (LCE).” (grèv et pwofitasyon, Langue sauce piquante) Moi je l’avais traduit à l’époque par “rassemblement contre l’exploitation“; “liyannaj” venant de “lien” (tiens, est-ce un autre néologisme ? - je rappelle que je suis martiniquaise et que nos deux créoles, bien que proches, ont leurs spécificités -). “Ensemble contre les profits abusifs” me semble la traduction la plus proche de l’idée véhiculée par l’expression. J’en profite pour signaler que l’expression “contre la vie chère” n’était pas non plus utilisée couramment ici avant la grève (que l’on m’arrête si je me trompe). Par contre, l’expression ”40% de vie chère” est utilisée pour parler de la prime allouée aux fonctionnaires. Ceci expliquant peut-être cela… Ce qui a été très étonnant (et pour moi un peu dérangeant je l’avoue) c’est de voir l’homme et la femme de la rue reprendre, lors d’interviews, les expressions utilisées par les médias nationaux sans coup férir ! Les “oui, nous sommes en grève contre la vie chère” renforçant l’impression (déjà ancrée) d’ultramarins maniant “à leur manière” (pour ne pas dire autre chose) la langue de Molière. Je ne pense pas que nous la maltraitions plus que les Chti’s ou autres même si le nombre de guillemets vu dans les articles nationaux tendent à prouver le contraire… Disons que nous le faisons différemment.