L'idée
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Source : Kozeries en dilettante
Mon ami Brocoli est de la variété chou romanesco, avec ses spirales centrifuges et centripètes, ses fractales. Je ferai les portraits de mes amis sans ordre précis, comme ça vient, mais je fais celui-ci en premier en sachant que Brocoli sera bien content d'être preums. Car Brocoli est un peu fat, voire paon à l'occasion ; étrangement il ne parvient pas à en être agaçant, juste drôle et attendrissant, sans doute parce qu'il le sait et qu'il a un grand sens de l'autodérision, qualité que je chéris entre toutes.
Dans « chou romanesco » il faut bien sûr entendre l'étymologie aussi, qui comme chacun sait signifie bête comme chou en matière romanesque. Brocoli se définit comme d'abord un amoureux, un gars qui ne peut pas être complet sans une fille à aimer et déclare au départ de l'Aimée qu'il a perdu la moitié de sa personnalité. Un joli paradoxe pour celui qui prétend se prendre pour le meilleur du monde entier et ses environs. Alors, sans doute pour réduire la distorsion entre ces deux facettes, Brocoli ne tombe pas amoureux de n'importe quelle fille. Il faut qu'elle soit très très jolie et très très rétive. Comme ça il sera un très très grand conquérant et fera la nique aux autres dompteurs et pourra s'autoriser à se plonger tout entier dans l'amour absolu d'une telle fille exceptionnelle. Seulement voilà, il y a comme qui dirait tromperie sur la marchandise, le dompteur se transformant en nounours transi après le premier signe de reddition du fauve, la tigresse ne comprend plus rien à rien. J'entends déjà Brocoli râler à cette lecture, et me redire : « Pffffff tu n'auras de cesse que de me faire sortir avec un gentil laideron ! » et moi je rigole sous cape car jamais il ne suppose que je pourrais n'avoir de cesse qu'il ne se transforme plus en nounours transi hi hi.
En fait je m'en fiche pas mal qu'il soit un amoureux comme ci ou comme ça, mais j'aime bien l'asticoter, tout comme il aime en faire autant avec moi parce que notre relation est un mélange de confiance absolue au non-jugement de l'autre (ainsi pouvons-nous nous raconter toutes nos turpitudes peu avouables) avec la certitude tout aussi grande d'absence totale de complaisance. Ajoutez à cela une égale énorme propension à nous prendre la tête pour ce que le vulgus pecum pourrait juger broutillesque mais que nous nous plaisons à examiner sous tous les angles possibles sans jamais nous lasser et vous comprendrez aisément que nous pouvons passer un week-end entier de séminaire sur "elle a employé tel mot dans telle phrase, à ton avis qu'est-ce que ça veut dire ?" Enfin sauf en ce moment, ou plutôt ça ressemblerait à un séminaire avec beaucoup de temps de sieste, ce qui le fait rire, le bougre...
Il rit mais il était là dès le lendemain du diagnostic de dépression. Un peu aussi parce que c'était une occasion de voir l'Aimée, mais peu importe puisqu'il était là, à veiller sur mon sommeil siesteux en pianotant sur son jouet miniature dont il est si fier d'être dans les preums à l'avoir acquis.
Sauf quand il parle de son amoureuse, Brocoli ne se livre jamais à quelconque déclaration d'affection ni même vaguement sentimentale. Son rang le lui interdit. Ou sa pudeur, va savoir... Mais s'il vous vanne copieusement, régulièrement et sans pitié, alors soyez sûr qu'il vous aime.
Quand on ne fait pas séminaire analytico-lexical, on se promène dans Paris . Brocoli a une passion pour ma ville et la connaît bien mieux que moi, il en connaît surtout bien mieux l'histoire et sa bibliothèque regorge de livres avec des plans du Moyen-Âge, des photos du début du siècle, des sites archéologiques, des travaux de recherches historiques. Quand on se balade il voit ainsi comme en surimpression les images qu'il reçoit directement dans la rétine et celles de ses ouvrages. Je fais semblant de n'en être nullement impressionnée, rapport à ses chevilles, mais il a emmagasiné une telle somme d'informations, tant anecdotiques qu'historiques qu'il m'épate, en vrai.
Il fait pour Paris ce qu'il fait un peu avec tout et avec tout le monde : soit il ne s'y intéresse pas, soit il y entre à fond et se documente, accumule, digère autant qu'il peut sur le sujet qui l'intéresse et je ne l'ai quant à moi jamais vu s'en servir pour se vanter, un paradoxe de plus. En grande partie autodidacte ça ne l'empêche pas de développer le syndrome de l'imposteur, mais ça c'est un point commun à pas mal de mes amis...
Brocoli dit qu'avant un épisode terriblement violent de sa vie, qu'il a d'ailleurs failli perdre en cette occasion, il était un petit con et que cet épisode, pour atroce qu'il fut, lui a été très profitable car il connaît maintenant le prix de la vie et que chaque jour peut-être le dernier. Depuis, sa devise est carpe diem et je trouve qu'il ne s'en sort pas mal, même dans les coups durs.
J'aime beaucoup Brocoli. C'est mon ami.