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J’ai vu “Les 16 de Basse-Pointe” ou l’histoire d’un békécide*…

Publié par [moi] le Mercredi 16 Avril 2008, 02:22 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Je rappelle que qu’en Martinique, le terme “béké” désigne familièrement les blancs créoles soit les descendants des colons venus s’établir sur l’île dès le début du XVIIe siècle. Cette minorité (à peine 1% de la population) a initialement bâti sa fortune et son pouvoir sur la production et le commerce du sucre dans le cadre du système esclavagiste de plantation. Malgré les soubresauts de l’Histoire Technorati de l’île, ils ont su conserver au fil des siècles et de nos jours encore leur position en tant qu’élite économique et sociale. Le terme “békécide” du titre a été emprunté à un protagoniste du film et résume à lui seul la portée et le retentissement de cet assassinat. Basse-Pointe est une commune du Nord de l’île. “Le 6 septembre 1948, en Martinique, dans le cadre d’une grève sur une habitation sucrière, l’Habitation Leyritz, à Basse-Pointe, un géreur, blanc créole, est assassiné de 36 coups de coutelas et retrouvé mort dans un champ de cannes de la plantation qu’il administre. Après une chasse à l’homme, 16 coupeurs de cannes syndiqués sont arrêtés et maintenus en détention préventive pendant trois ans…” Au détour des archives personnelles de Me Georges Gratiant, l’un des acteurs clé du procès qui s’ouvrira à Bordeaux plus de trois ans après les faits, Camille Mauduech va découvrir l’histoire de ce meurtre jamais élucidé et prendre la décision d’exhumer un pan encore méconnu du grand public de notre Histoire post coloniale. Où l’on redécouvre qu’en 1948 les toutes récentes lois de départementalisation ne changent rien à la réalité socio-économique coloniale (organisée sur la base de la distinction de la couleur de peau) de l’île. L’habitation sucrière a remplacé la plantation, le travail n’est plus servile mais payé une misère et surtout les codes qui régissent les rapports entre noirs et blancs sont restés les mêmes malgré l’émergence d’une classe moyenne composée de mulâtres et de noirs. C’est dans un contexte rendu tendu par la répression qui fait rage contre les communistes, fer de lance des luttes sociales de l’époque (syndicalistes en tête), auquel il faut rajouter, quelques mois plus tôt, la mort de 3 ouvriers en grève abattus par des gendarmes sur un habitation au Carbet sans qu’il y ait une enquête de diligenté, qu’intervient le meurtre de Guy de Fabrique, géreur sur l’habitation Leyritz à Basse-Pointe. Il s’agit de comprendre le fil des événements qui l’ont conduit, le 06 septembre 1948, à se présenter arme au poing, en compagnie de trois gendarmes face un groupe d’une soixantaine de grévistes sur l’habitation. Il s’agit de comprendre pourquoi les choses se sont envenimés au point qu’il se retrouve désarmé et contraint de s’enfuir, lui le béké (une fois n’est pas coutume), bientôt poursuivi par un petit nombre d’ouvriers agricoles qui le rejoignent puis le massacre à coups de coutelas. Une trentaine de coups… dont 3 mortels. 16 hommes seront arrêtés, sans preuve, pour les faits et incarcérés 3 ans avant d’être jugés à Bordeaux (ancien port négrier). Ce qui ne devait être qu’une formalité sensée faire perdre aux noirs et au mouvement ouvrier en Martinique (sans compter le retentissements ailleurs) toute velléité de lutte va se transformer par le biais des avocats de la défense, sous la houlette de Me Georges Gratiant, accessoirement dirigeant de la Fédération communiste de Martinique, en procès du colonialisme soit un réquisitoire contre la misère, l’exploitation de la main d’œuvre de couleur (noirs et “coulis” ou “coolies” - soit les descendants des originaires des comptoirs français des Indes importés dans l’île après l’abolition de l’esclavage -) et l’impunité absolue dont bénéficie les sucriers blancs sous la protection complice des forces. La plaidorie de Georges Gratiant se terminera d’ailleurs par ces mots: Dans l’opacité de leur cale de négriers, ils avaient gardé la luciole de l’espérance. De tout Technorati, on a toujours jugé tous les nègres de la terre avec une chicote à la main. Messieurs de la Cour, je vous demande aujourd’hui de les cravacher de votre amour, de leur ouvrir vos coeurs afin que demain, on leur ouvre les portes de la prison. Conclusion ? Il est étonnant de constater la chape de plomb qu’il semble y avoir autour de ces événements et le pacte du silence qui lient encore ceux des 16 qui sont encore vivants. Ce soixante ans après… La douleur et les rancunes semblent intactes. Je ne suis pas fan de la réalisation de Camille Mauduech (sa façon de se mettre en scène par exemple) et ce n’est pas non plus un travail d’historien mais il a le mérite d’exister malgré les difficultés évidentes à le faire. Je pense que c’est ça qu’il faut retenir. On sort de la séance en ayant appris des choses notamment sur les rapports complexes et loin d’être manichéens entre les groupes qui composent notre société. *** Juste deux mots pour rappeler qu’Aimé Césaire, qui fait malheureusement l’actualité, est de Basse-Pointe et pour signaler qu’aux dernières nouvelles l’Habitation Leyritz (devenue un très charmant hôtel) est en liquidation judiciaire.


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