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Ma vie de bureau (2)

Publié par Kozlika le Lundi 29 Janvier 2007, 22:23 dans la rubrique Bric à brac - Version imprimable

Source : Technorati

Christiane s'empressa de refermer le tiroir. Sortant de mon bureau elle me jeta un regard impérieux avec un geste du menton en direction du premier feuillet de la lettre de mon frère que j'avais jeté à terre. A travers la porte qu'elle avait refermée, je l'entendis accueillir le visiteur tandis que je fourrais la lettre sous le sous-main et éparpillais quelques vieux dossiers sur mon bureau.

Christiane m'appela sur la ligne intérieure. Elle trouvait que ça faisait plus professionnel de procéder ainsi et je discutais le moins souvent possible ses lubies. Je décrochai le combiné.

« Excusez-moi de vous déranger, monsieur, mais il y a là quelqu'un qui sollicite un entretien si vous pouviez lui consacrer quelques minutes. Puis-je le faire entrer ? »

Mon choix fut restreint : elle raccrocha sans attendre la réponse. Elle devait redouter qu'un accès de folie me saisisse brutalement et me fasse refuser une potentielle source de revenus.

L'homme qu'elle fit entrer aurait pu sans peine doubler King-Kong pendant ses pauses café sur le tournage du nouveau film que j'étais allé voir hier soir pour meubler une soirée de plus en solitaire. Malheureusement il était venu sans Fray Wray, ce qui lui ôtait beaucoup de son charme. Je l'invitai à s'assoir sur la chaise que j'avais tirée en hâte pendant que Christiane était allée lui ouvrir.

King Kong regardait obstinément ses mains dont il croisait et décroisait les doigts nerveusement, se râcla la gorge, s'agita sur sa chaise. J'interrogeai Christiane du regard qui me fit comprendre d'un haussement d'épaules qu'elle n'en savait pas plus. Je lui fis signe de sortir. Notre homme était peut-être venu pour une affaire trop délicate pour être évoquée autrement qu'en tête à tête.

Rompant le silence qui commençait moi-même à m'embarrasser, je refis les présentations et l'invitai à me faire part des raisons de sa visite.

« Je n'aurais pas dû venir », finit-il par lâcher dans un souffle, s'apprêtant à se relever. Mais si le poids de mon interlocuteur me dissuadait de tenter de le faire parler de force, la Technorati de devoir expliquer à Christiane qu'un potentiel client avait tourné les talons sans lâcher le moindre billet était bien plus terrifiante et me conduisit à ne pas le laisser s'enfuir sans essayer de le retenir.

« C'est normal. Faire appel à un détective est toujours une affaire délicate. On hésite, on tergiverse. Il y a du pour et il y a du contre. Si vous me disiez juste ce qui vous amenait ici ? Rien ne vous obligera à me confier l'affaire si vous y renoncez et je suis tenu par le secret professionnel. »

Ce type devait être capable de faire face lui-même à des menaces de son bookmaker ou d'un quelconque concurrent. Je me demandais bien ce qui avait pu l'amener ici.

Il releva la tête et se rassit. Puis il fouilla dans la poche intérieure de son veston et déposa avec précautions une photo sur mon bureau qu'il fit glisser vers moi[1].

« Je veux la retrouver. Je veux retrouver Lucy. – Votre sœur ? – Ma fiancée. »

Il reprit. Plus fort. Il me regardait droit dans les yeux, presque féroce.

« Ma fiancée. Lucy. »

Saperlipopette, un amoureux éconduit ! Si je m'attendais à ça. Tu parles qu'elle avait dû filer grand train la donzelle quand elle avait compris que l'ostrogoth se la racontait à son sujet...

« Vous euh... vous vous êtes disputés ? » Je tâchais de faire preuve d'un minimum de politesse avant de pousser le gars dehors. Du diable si j'avais à ce point besoin de fric que j'irais chercher une jolie chose comme ça et la ramener par la peau du cou à ce mastodonte.

« Non, pas disputés. Jamais disputés. Ils me l'ont enlevée. Sa famille. Quand elle leur a dit qu'ils pouvaient dire ce qu'ils voulaient, qu'on allait se marier ils l'ont envoyée à l'autre bout du pays dans la famille.

– Et elle n'a pas trouvé moyen de revenir ? »

Il avait l'air de croire à son histoire, le gars. Je pouvais peut-être l'amener doucement à comprendre si sa cervelle n'était pas complètement noyée sous la graisse.

« Elle n'a pas cherché à revenir. Elle croit que je suis mort. »

Hein ? Houla on avait rétrogradé de King Kong au mélo muet directement là. A défaut de pouvoir me gratter la tête, je toussai en cherchant quoi répondre.

« Je n'aurais pas dû venir », reprit-il en soupirant. Et soudain libéré il ajouta : « Vous ne me croyez pas. C'est normal, moi même je n'ai pas cru tout de suite qu'une Technorati aussi extraordinaire pouvait aimer une bête de foire dans mon genre. Il lui a fallu du Technorati pour me convaincre du contraire. Et pourtant j'ai toujours su qu'elle ne m'a jamais pris pour un idiot. Pas comme les autres. Pas comme vous, avec vos dossiers qui datent de six mois sur votre bureau, votre secrétaire qui fait semblant d'avoir mille choses à faire mais qui n'a pas la moindre lettre en cours dans la machine à écrire ni d'enveloppe en attente dans le courrier à expédier. On m'a toujours pris pour un imbécile parce que je suis gros et poilu. Et parce que je suis timide et maladroit, ce qui n'arrange rien. Vous imaginez vous tous que les poils poussent aussi vers l'intérieur et que la graisse empêche le cerveau de fonctionner ? »

Je me retins de lui dire que c'était précisément l'image qui s'était présentée à moi. Je ne sais pas pourquoi, j'avais l'intuition que ça ne le ferait pas rire. Et puis je pensais à mon frère qui me m'avait jamais pris au sérieux tant j'étais étrange à ses yeux. Ce type et sa colère commençaient à attirer ma sympatie.

Je tendis la main vers la photo. Il sourit. « Cette photo, c'est la seule que j'ai d'elle. C'est moi qui l'ai prise avec son appareil photo. Pataud comme je suis je n'ai évidemment réussi qu'à faire une photo floue. Mais quand elle l'a rapportée de chez le photographe elle m'a dit que c'était la photo la plus fidèle qu'on aie jamais faite d'elle. Que cette photo c'était elle, exactement elle. Et que j'étais le seul à pouvoir faire des photos comme ça. »

Ah mais si ce gars jouait en plus sur ma fibre de midinette, j'étais perdu ! Je levai les mains en signe de reddition. « OK, je vous crois. Racontez-moi tout. »

A suivre (?)

Participation aux soldes des Diptyques d'Akynou. Photo Alibaba0. Notes [1] Note aux pinailleurs : viendez pas m'embêter avec la Technorati historique, le gars a passé des heures à colorier à la main la photo, voilà tout ;)


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