L'idée
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Source : Le blog du bouchon
Pour une fois que j’avais un scoop ! Mais qui dit scoop dit sujet sensible. Et c’est là que le bât blesse. Voici donc une petite histoire de choux. Quinze minutes (au minimum) de lecture en perspective ! Et un rendez-vous chez l'ostéo à la clé pour moi.Quand je vais, il y a plus d’un mois, interviewer les deux zigues, je suis loin de me douter de ce que je vais déclencher. C’est Nadela qui m’a concocté cette interview. Elle est l’attachée de presse de la plus grosse société européenne de services publics de coupe de choux. Elle est vague sur le sujet, me précisant juste qu’il s’agit d’une expérience jamais menée sur les coupe-choux. Elle m’indique que l'interview lui permet de voir si le sujet en vaut la peine et si les zigues peuvent être présentés à la presse. Elle me fait ça deux-trois fois par an, et chaque fois, c’est un sujet intéressant, que nous avons en avance sur notre concurrent, la très célèbre revue technique (ce n’est pas un magazine) L’industrie du cirage de choux, celui-là même qui fait des publireportages où il se fait payer pour écrire un sujet à la gloire d’un fabricant sans même indiquer Publireportage ou Publi Information en caractère 8 minimum comme la loi le requiert. Deux ans dans un frigo J’ai relu dans le métro le dossier technique que nous avions publié il y a deux ans sur les coupe-choux. Un peu aride comme sujet, mais on verra bien.La demi-heure d’interview initialement prévue se transforme en trois heures denses. J’ai là les deux zigues en questions, le chercheur fou, grosse barbe et petites lunettes, et son chef, un petit blond maigrelet. Le chercheur fou me projette des centaines de courbes et de diagrammes sur l’écran, expliquant pourquoi il a passé deux ans dans un frigo. Il souhaitait faire définitivement la part des choses entre l’argumentaire commercial des vendeurs de coupe-choux et ce qu’il en est réellement de leurs appareils. Alors il a construit une plate-forme de tests dans des conditions de laboratoire. Assisté d’un consultant, autrefois le découvreur du premier coupe-chou avec lame en V (un coupe-chou qui a révolutionné la manière dont on coupe les choux), il a des centaines de critères (constance de la vitesse de la lame, homogénéité de la réponse dans six exemplaires d’une même série de coupe-choux, facilité d’utilisation, écran tactile pour interpréter la taille des morceaux de choux en sortie, …) dans le plus pur esprit scientifique. Deux ans après, il a enfin fabriqué son banc d’essai de coupe-choux. Il passe les deux années suivantes à tester cinq des huit produits du marché. Sa démarche est rigoureuse. Il a même imaginé un coussin d’air pour éviter que les vibrations ne biaisent le résultat.Bref, il a fait un boulot fantastique. Il a l’air surpris quand je saute au plafond, excitée que je suis à la découverte de ce banc d’essai qui me change de ceux, très controversés, de la non moins célèbre revue Comment se déterminer ? Je leur demande l’exclusivité de l’information, ils me l’accordent bien volontiers. Avant de partir, je subtilise son document où se trouvent les noms des fabricants d’appareils pour couper les choux. Il râle un peu mais je repars avec À aucun moment, il ne me donne les noms des gagnants ni des perdants. Tout ce que je sais est qu’il y en a trois sur cinq. J’ai un mois pour préparer mon papier.L’enjeu est énorme, car jusqu’ici, la grande société de services publics de coupes de choux se fournissait chez les fabricants en tirant sur les prix. Désormais, le choix se fera sur aussi des critères techniques. Les deux autres grandes sociétés de services publics de coupes de choux risquent de faire eux aussi des tests. À eux trois, il représentent 70% du marché français.Deux jours plus tard, j’apprends par une journaliste que L’industrie du choux vient de changer en dernière minute son dossier technique pour traiter de ce sujet. Un fabricant a du l’alerter. Je connais très bien la journaliste qui va faire le dossier. Elle est carrée. Je l’aime beaucoup mais elle n’aura pas un gramme de l’information dont j’ai l’exclusivité. Elle fera donc un dossier tout à fait correct mais, dans la pure ligne éditoriale de L’industrie du cirage de choux, ne donnera la (bonne) parole qu’aux fabricants (surtout pas aux utilisateurs, ils pourraient critiquer le matériel). Les tuyaux de Lolo il castani Je décide d’élargir mon article en donnant la parole aux fabricants. Je commence par un nom sur la liste, le plus facile pour moi car un copain, Lolo il castani (Lolo le brun), travaille (les salons professionnels à l’étranger sont souvent le lieu d’amitiés formées autour d’un j..nt verre). Radio-lame, tel est le nom de l’entreprise , est l’une des plus anciennes dans ce marché de niches. Un p’tit courrier électronique pour lui expliquer ma demande déclenche un appel dans la demi-heure qui suit. « Faut que tu en parles avec mon boss, on est au courant (ben oui puisque ton coupe-chou a été testé). Ça va changer la donne du marché ». Vingt coups de téléphone de part et d’autre après, nous arrivons enfin à nous joindre. Je suis sur mon lit, un bouchon un poil fiévreux sous mon aisselle droite, le téléphone vissé sur l’oreille gauche. Son boss commence la conversation par « Madame Loulou, Lolo il castani m’a dit que vous étiez une copine . Je vais tout vous dire ». Et il me déballe les petites histoires de ce secteur très concurrentiel et bien d’autres (deux idées d’articles). Une heure plus tard, je sais que son coupe-chou a été brillant sur tous les tests mais aussi que c’est la zizanie entre les directions régionales et la direction technique centrale dans la grande société de services publics de coupes de choux. Chaque région fait ses propres tests, tous se tirent la bourre et détestent unanimement le chercheur fou qui veut leur imposer des méthodes scien-ti-fiques pour juger de la pertinence du discours commercial en face. J’ai les noms et portables de tous les p’tits gars régionaux. 15 pages de notes recto-verso. J'en ai un sur trois.
Le baveux, l’innocent et le mielleux Je laisse le bouchon imprimer des images sur le Web qu’elle trouve rigolotes (genre, le chien qui tient une guitare devant un arbre de Noël) et envoie une série de p’tits mails aux quatre autres constructeurs. « Cher Monsieur, je fais un article sur la plate-forme de tests qu’a créée le chercheur fou de la grande société de services publics de coupes de choux. Je sais que votre coupe-chou a été testé. Pourrions-nous en discuter ? ».Dans la semaine qui suit, j’interviewe les sociétés British lame, L’Helvète de la lame, La lame teutonne. Le premier est prudent, mais radieux que son coupe-chou ait passé la barre des tests. Ce directeur commercial en profite pour baver allégrement sur Radio-lame chez qui il a travaillé et me confirme la présence de baronnies régionales. 5 pages de notes recto-verso. Il m’envoie par liaison satellite depuis sa voiture à la pointe de la technicité (et le coffre rempli de coupe-choux) la documentation technique. J’en ai deux sur trois. L’Helvète de la lame est distribué en France , et je coince le responsable Rhône-Alpes qui s’arrête sur le bas-côté pour l’interview. À première vue, il n’a pas l’air très aguerri, ce responsable régional et sa voix de bac+2 commercial. Il dit attendre les résultats. En fait, il sait qu’il ne faut pas tout dire aux journalistes. Le coupe-chou qu’il tente de caser dans les collectivités et sociétés de services publics françaises n’est même pas monté sur le banc d’essai parce qu’il lui manquait un critère essentiel aux yeux du chercheur fou : il n’avait pas de prise électrique. L’Helvète de la lame a donc fabriqué un second modèle, plus perfectionné et doté d’une prise électrique, qui n’a pas encore été testé. Mais ça, je ne le sais pas encore. Dix lignes de notes. Mais il m’envoie la documentation technique sur le coupe-chou helvète après avoir ramené sa twingo au siège social.
Bon Dieu, qui est le troisième ?
Au sein de La lame teutonne, je suis dirigée sur le responsable international. J’ai à peine le temps de me présenter qu’il me précise passer 1 million d’euros en publicité dans mon magazine en 2007. Je lui réponds que ça n’est pas mon problème et tente de le ramener au sujet du jour. D’abord manifestant son indignation à grands cris sur le fait que la presse soit au courant avant lui des résultats (ce qui signifie, en théorie, qu’il n’a pas eu les résultats), il me signale ensuite que le chercheur fou est bien venu leur présenter des courbes et des diagrammes. Totalement incompréhensible ! selon lui. Ah bon ! Et si moi journaliste j’ai compris de quoi il en retournait, comment se fait-il que lui, le vendeur, n’ait pas compris ? Je sors de cette interview épuisée et avec une série de citations toutes plus négatives les unes que les autres à l’encontre du chercheur fou. Une page recto-verso de notes. Il ne m’envoie pas la documentation mais des photos montage que l’on ne passera jamais tellement elles sont laides. Son produit ne doit pas avoir passé la barre des tests, mais il ne me l’a jamais vraiment dit. Toujours que deux sur trois.
Le planqué Je n’arrive pas à joindre le dernier fabricant en la personne du gérant de cette filiale française d’une autre entreprise allemande. Le Gnagna man, mis au courant au fur et à mesure (pour ne pas qu’il se fasse tailler en pièces s’il appelle un perdant) me donne son portable. Je finis par lui envoyer un mail lui indiquant que l’article se fera sans lui s’il ne m’appelle pas sur le portable de la rédaction ce soir-là jusqu’à 20h30 ou le lendemain à 8h. À 20h, drrrrrrrring. D’un léger accent allemand, Monsieur m’explique qu’il a fait le planqué pendant 10 jours. En fait, il ne connaît pas plus que moi le résultat pour ses deux appareils. Tout comme le boss de Lolo il castani, c’est un des plus anciens de la profession. Il a vu arriver des sociétés sur ce marché juteux où ils n’étaient que quelques uns à ramer au début. Et il a chez lui le prototype du premier coupe-chou, celui-là même avec une lame en V. Je suis en présence d'un passionné du coupe-choux ! Tout en bavant allégrement sur les autres techniques, il reconnaît que « des gars comme ça, qui font des tests aussi aboutis, y’en a pas assez ! ». 8 pages de notes. Il peine à m’envoyer de la documentation technique.Des rumeurs lui rapportent que ses deux appareils ont fait pâle figure sur le banc d’essai. Il n’a pu joindre le chercheur fou pour avoir les résultats. Flûte ! Je ne sais pas qui est le troisième élu. Entre temps , Lolo il castani me rappelle. Il veut que je parle au nouveau directeur commercial de Radio-lame. Celui-ci commence son propos sur le plan-média publicitaire qu’il compte mettre en place (la société ne faisait plus de pub depuis dix ans). Je le recadre gentiment -à la rédaction nous avons décidé d’éduquer nos annonceurs sur l’indépendance de la rédaction. J’obtiendrai de lui que sa page, prévue dans ce numéro, soit décalée d’un numéro pour qu’il n’y ait pas de doute pour notre lectorat sur l’indépendance de ladite rédaction. Je ne sais pas comment annoncer au Gnagna man que j’ai changé son plan publicitaire du moment et même de l'année, puisque nous avons convenu qu'il serait mieux pour lui d'avoir une visibilité publicitaire plus ouverte que la simple page à côté du dossier technique de son secteur. Le Gnagna man m’apprend que le passionné, appréciant notre entretien, a pris une page de pub dans ce même numéro. Je n’arriverai pas à convaincre le Gnagna man de virer cette page. Je lui parle d’indépendance rédactionnelle, il ne voit que son budget. Mais le Gnagna man fait preuve, en ces instants difficiles, d’une humeur égale et d’une absence de ses sempiternelles complaintes que j’apprécie. Bref, il me soutient (la pelle de fossoyeur à la main) même si je risque, par cet article, de lui retirer des annonceurs. Il est aussi vrai que les annonceurs viennent de plus en plus nombreux dans nos pages, attirés par la renommée du magazine (qui revient de très très loin), nous a-t-il avoué un jour où il avait dû boire. Le chercheur fou se demande s'il a bien fait J’écris une première version, assez salée. La règle dans notre rédaction est de faire vérifier les citations, pour que les gens soient en accord avec ce qu’on leur met dans la bouche, et tous les éléments un peu techniques du texte. Car après tout, même des journalistes spécialistes de Chou magazine peuvent se tromper dans leur prise de note. Je sépare les chapitres et envoie à chacun sa partie, au beau milieu de la nuit, en insistant bien : « vérifier le fond, la forme m’appartient ». Le lendemain, coup de fil affolé de Nadela. « C’est vrai qu’il y a des baronnies régionales chez nous ? Il ne me semblait pas que le chercheur fou et le petit maigrelet t’avaient dit ça ! Mais tu ne peux pas donner cette image de notre société. Mes deux zigues se demandent bien ce qu’ils ont déclenché». Je relis ma version, la trouve un peu salée dans les termes, et surtout reconnais en mon for intérieur que je ne peux dire ça sans avoir plus d’éléments pour le prouver. Je n’ai que deux pages, et pas le temps d’appeler tous les contacts régionaux. Ça sera pour un prochain numéro. Je refais donc une seconde version, de 21h à minuit, dont je renvoie des extraits au chercheur fou et à son chef.Le lendemain, conference call, comme ils disent en France , avec la fine équipe de la grande société de services … Le chercheur fou m’indique qu’il a commencé à travailler avec les directions régionales et, en off, me donne le nom du troisième équipement qui a remporté les tests. C’est le passionné qui va être content ! Les corrections arrivent par mail petit à petit. Elles sont en général pertinentes et permettent d’utiliser les termes exacts. Je renvoie un mél au seul dont je n’ai eu les corrections, le directeur international de La lame teutonne, en lui précisant que j’ai viré sa citation de ma première version car elle risquait d’être mal interprétée (et donc de déclencher un procès pour diffamation de la part du chercheur fou à son encontre). En revanche, je garde les informations techniques et lui soumets les termes (genre : « on a remporté un appel d’offres détaillant les performances techniques des appareils à Pierrelatte pour l’achat de 10 000 coupe-choux. » Est-ce le bon terme pour l’appel d’offre ? La bon nombre de coupe-choux ?) Comme d’habitude, je veux que les informations dans l’article soient irréprochables. À force de leur donner de la qualité, nos lecteurs ne nous loupent pas sur des erreurs, même de chiffres. Loulou se fâche Le directeur international me signale par mail qu’il n’a pas reçu la première version. Je lui renvoie, en lui précisant bien que j’ai viré sa citation. Mal m’en a pris ! 45 minutes de prise de bec téléphonique où il a successivement
- menacé de m’envoyer ses avocats si les termes contenus dans l’article n’étaient pas favorables à La lame teutonne, - menacé d’envoyer ses avocats au chercheur fou, ce qui n’est pas mon problème même s’il est gentil,
Ce type est procédurier.
- exigé d’avoir le même temps de parole la même longueur de texte consacrée à son entreprise qu’aux autres fabricants. Je lui ai répondu que je ne dépendais pas du CSA même si nous étions en période d’élection présidentielle.
Ce type est idiot.
- menacé d’annuler son plan média sur le magazine si … pas favorable à La lame teutonne. D’un ton flegmatique, je lui ai répondu que j’allais transférer l’information au Gnagna man. Et je lui relis les termes concernant La Lame teutonne, tout à fait corrects. Je dois respecter le Off du chercheur fou, et ne peut indiquer les résultats, seulement la méthode.
Ce type se prend pour un puissant de ce monde .
- indiqué qu’il était l’objet d’un complot de la part du chercheur fou.
Ce type est fou.Je ne sais pas pourquoi je me suis énervée. Non, franchement, était-ce bien utile ? Je tapais du point sur le bureau tout en hurlant au téléphone tandis que Joli-Cœur se réfugiait dans the Köln concert de Keith Jarrett. Mon éditorial, qui devait porter sur la journée mondiale des choux, risque fort de changer de sujet (et de ton). Loulou boycotte la télé Je marche dans la minuscule rédac comme un lion en cage, puis vais m’excuser auprès de Joli-Cœur (qui se marre) et des voisins dans les autres bureaux pour ce coup de sang. Le téléphone sonne à nouveau.
Bonjour Madame Loulou. Demain jeudi est la journée mondiale du chou. Nous faisons une émission sur télé-village et nous souhaitons que vous veniez débattre sur le plateau de son économie mondiale et de sa protection environnementale. J’suis pas libre, le magazine part vendredi matin, j’ai trop de boulot. Pourquoi voulez-vous faire intervenir un journaliste , je ne suis pas un expert. Je suis journaliste ! C’est le principe de l’émission. Et dans quel rôle me voyiez-vous : l’économie ou l’environnement ? Heu ! L’environnement. Ah bon ? Pourquoi pas l’économie ? Notre revue traite aussi bien de l’économie du chou que de sa protection environnementale et des techniques pour le couper et le bouillir. Et puis, je me répète, je suis journaliste , donc neutre. Pourquoi irais-je défendre sa protection environnementale contre … d’ailleurs qui fait la partie économique ? Le rédac chef de l’Agrandissement. Il parlera de sa marchandisation dans le monde . Chuis pas libre. Je vais vous donner deux trois noms de journalistes et leurs téléphones. Débrouillez-vous avec eux. Vous pouvez me donner leurs portables ? J’les ai pas ! (Ben tiens) Et puis vous auriez pu vous y prendre plus tôt ? Ça fait deux semaines que je reçois des communiqués de presse sur cette journée. Vous aussi, je suppose.
Et je viens de me rappeler que demain, à la même heure, je vois l’homme de ma vie pour le moment : mon ostéopathe. J’en ai plein le dos ! Bloquée du coccyx à la pointe des cheveux. On se demande bien pourquoi !NB : Le plus célèbre grassouillet aux fourneaux de France fait son sujet du samedi 7 avril sur le chou. La journaliste qui le fait voulait absolument me piquer mon dernier numéro sur les sols pollués. Il m’a fallu 15 minutes pour la convaincre que non, on ne faisait pas pousser des choux sur les sols pollués, la réglementation était très stricte à ce sujet. Je vais me faire un podcast sur cette émission. Haut de page